Contes, mythes et légendes,
"Manifestation vivante de la Vie Unique",
dits par Régor au gré de la Vouivre

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La Voix des Sables

est la mÉmoire du monde,

et, comme elle,

elle n’a pas de fin…
[1]

 

 
 
La destinée de ce fleuve est tracée. Vaine est son opposition ! Inutilement il se rend malheureux. Il ne peut que mourir dans les sables en tant que fleuve, mais il s’abandonne, il accepte et il se réjouit de devenir vapeur, puis nuage et de faire ainsi le grand voyage. Demain, la pluie fera pousser l’herbe sous d’autres cieux, fera naître une source que d’autres pluies grossiront pour alimenter un autre fleuve.
Est évoqué ainsi tout le cycle de l’évaporation, de la condensation et de la pluie. Mais ce conte mène beaucoup plus loin.
Pourquoi personnaliser ainsi ce fleuve ? En voici une version plus humaine :
« Il était une fois… Dans le désert de sa vieillesse, cet homme fort, puissant et entreprenant vit ses forces décliner. Il avait traversé en torrent sa jeunesse, il avait parcouru la plaine verdoyante de sa maturité, puis il s’était enfoncé progressivement dans la stérilité d’un vieillissement subi. Souvent, l’angoisse l’étreignait à l’idée d’une fin inéluctable. Mais souvent aussi, à cette période de sa vie, il prenait enfin le temps d’écouter une petite voix intérieure qu’il avait méconnue, étouffée. Elle lui chuchotait :
- Abandonne-toi à l’esprit qui t’habite. L’essence de toi-même, ton âme va faire le voyage comme tant de fois déjà…
- Cela n’est pas possible… J’aime la terre où je suis né, j’aime ma compagne, mes enfants, mes petits-enfants, mes amis, les fleurs de mon jardin... Non, je ne veux pas partir…, pas encore…, plus tard…
Mais cette voix revenait sans cesse :
- Abandonne-toi, lâche prise… C’est inéluctable ! Tu verras comme il est doux de partir dans la paix.
Comme il n’avait même plus la force de se détourner d’elle, sa voix intérieure lui dit :
- Abandonne ta forme, comme déjà tant de fois tu l’as fait. Laisse là ce corps vieilli, il retournera à la poussière. Laisse ton âme s’envoler vers les cieux…
 Si tu veux vraiment revenir, sur cette terre des hommes, alors, tu renaîtras dans une matrice pour, de nouveau, être homme ou femme…
Mais il te faudra aller jusqu’au bout de ta destinée. De renaissance en renaissance, tu te souviendras chaque fois davantage de la Source de la Vie… Alors tu voudras faire retour à l’Origine et tu seras mûr pour vivre l’existence au-delà du temps… »
 
 
 

Voici un conte, Zen cette fois, tout aussi traditionnel, qui aborde ce qu’un homme peut désirer sur terre. Il y ait question d’un Djinn :
« Allah a créé, énonce le Coran, les Hommes et les Djinns ». Ceux-ci sont des esprits surnaturels, parfois bons, parfois mauvais, un peu comme le sont les gnomes en Occident.
 
 

 
LE TAILLEUR DE PIERRE
 
 
Il était une fois un pauvre tailleur de pierre qui montait chaque jour dans la montagne faire son dur métier. Il redescendait sur son dos chaque pierre taillée jusqu'au village voisin distant de plusieurs kilomètres et accomplissait ce pénible labeur depuis de nombreuses années.
Un jour qu'il était particulièrement las et fatigué, il se dit en lui-même :
- Ah ! Si je pouvais devenir paysan dans ce village, ma vie serait moins rude et le travail moins exténuant !
Un Djinn lui apparut sur-le-champ et fit de lui un paysan...
 
Au début, ses nouvelles occupations lui semblèrent merveilleuses, mais il se mit cependant à envier le Seigneur du village qui vivait dans l'oisiveté la plus complète alors que lui s'usait encore à la tâche...
- Ah ! Si je pouvais devenir Seigneur du village, se dit-il en lui-même !
Le Djinn de nouveau lui apparut... et il devint Seigneur du village...
 
Ce fut une vie de rêve... du moins au début, car devoir payer l'impôt à l'Empereur lui causa bien des soucis...
- Ah ! Si je pouvais devenir Empereur !
Et le Djinn qui exauçait tous ses souhaits fit de lui un Empereur...
 
Le faste des palais, l'oisiveté la plus complète et le pouvoir absolu firent de lui un autre homme... Son autorité s'étendait sur la Terre entière. Mais un jour, en contemplant le soleil, il se dit en lui-même :
- Certes, le soleil dans sa splendeur est seul à être plus puissant que moi ! Si je pouvais devenir Soleil !
A peine ce désir fut-il formulé que le Djinn le métamorphosa en Soleil.
  
Alors, ce fut pour lui encore plus merveilleux. Il devint un soleil radiant magnifique. Il regardait toutes choses de haut, dispensait lumière et chaleur à la terre entière. Mais un jour, il s'aperçut qu'un petit nuage gris empêchait ses rayons d'arriver jusqu'au sol...
- Est-ce possible ? Ce nuage est encore plus puissant que moi ! Si je pouvais devenir nuage... !
Le Djinn aussitôt intervint, et le voilà devenu nuage...
 
Il voyagea, poussé par le vent, sans rencontrer d'obstacles tout d'abord. Sa nouvelle vie était extraordinaire. Il pouvait voir chaque détail de ce qui se passait sur la terre. C'était vraiment passionnant. Mais bientôt, le petit nuage vint heurter une puissante montagne pour lui infranchissable !
- Cette montagne arrête mon voyage ; elle est vraiment plus puissante que moi ! Si je pouvais devenir montagne !
Et de nouveau, par la magie du Djinn, il devint une montagne majestueuse et dominatrice...
 
Un jour cependant, il entendit à sa base comme un grattement imperceptible ; il ressentit comme une démangeaison tout en bas... En regardant de plus près, il se rendit compte qu'un petit animal minuscule creusait à force de patience la base de la montagne... qui sous ses coups s'effritait et s'écroulerait fatalement tôt ou tard...
- Est-ce possible ? Ce petit animal serait plus puissant que moi ! Si je pouvais devenir ce petit animal ?
 
Et aussitôt, il redevint Tailleur de Pierre.

  
 
Dans la version celte, c’est la Fée qui apparaît !
Mené par son désir de toujours mieux, de toujours plus, ce tailleur de pierre ne peut finalement pas échapper à son destin. « Ce que tu veux, tu l’auras », dit le sage ; et d’ajouter : « hélas ! », tant nos désirs souvent se retournent contre notre véritable intérêt.
De désir en désir, cet homme tourne en rond dans son devenir, pour finalement boucler la boucle. Comme le fait l’Ouroboros qui se mord la queue, symbole du temps cyclique chez les Grecs. Ou comme l’Anaconda Rodin qui fait de même, entourant le monde des amérindiens d’Amazonie.
Le processus du temps peut être inversé. L’homme, au lieu d’être pris par le temps qui engloutit toutes choses, peut, en suivant la voie du guerrier selon don Juan, « voir » venir le temps, ainsi prend-il pouvoir sur lui au lieu de le subir. Il s’agit alors de le fixer « quand il s’avance vers nous
[2] »…
 
Mais, il est dit aussi, dans ce conte, d’une certaine manière, que l’homme naît nu et qu’il meurt nu, quelles que soient les destinées qu’il ait pu vivre, plus ou moins fastes ou néfastes, au gré de ses désirs d’expérimenter toutes les facettes de la condition humaine. Chacun de nous rassemble en lui toute l’humanité, épouse toutes les conditions durant cette unité de vie que constitue l’ensemble de ses incarnations.

 

Voici une autre version de ce même conte, venue d’Indochine. Certains la préfèrent… Cette fois, un pauvre paysan rêve, pour sa fille merveilleusement belle, d’un beau parti !
 
 
 

L’AMOUREUSE DU TAILLEUR DE PIERRE

 
 
 
Il était une fois un paysan pauvre, très pauvre. Il avait une fille unique belle, mais belle comme la lune en son plein.
Celle-ci, un soir, vint le voir et lui déclara qu’elle voulait épouser le jeune tailleur de pierre. Celui-ci était encore plus pauvre que le paysan !
Son père lui dit vertement :
- Ce n’est pas possible, pauvre comme il est ! Ce sera pour toi une vie de misère ! Non, non, non ! Belle comme tu es, tu mérites un bien meilleur parti.
- Père, ce sera comme vous voudrez, répondit la jeune fille déçue mais n’osant aller contre la volonté paternelle, par soumission à la coutume.
 
Le père alla trouver le chef du village et lui dit :
- J’ai une fille en âge d’être mariée. Elle est belle, mais belle comme la pleine lune. Consentirais-tu à l’épouser ?
- Certes, lui répondit le chef du village, j’ai depuis longtemps remarqué la beauté de ta fille. Elle est vraiment belle, belle comme la lune en son plein, si belle qu’elle peut prétendre à un bien meilleur parti que moi ! Seul l’Empereur est digne d’épouser une telle beauté. Va le trouver de ma part et propose lui ta fille en mariage.
 
Ainsi fit le paysan. Il se rendit à la capitale, demanda audience à l’Empereur et lui dit :
- J’ai chez moi une fille en âge d’être mariée. Elle est belle comme ce n’est pas possible, belle, mais belle comme la pleine lune !. Je l’ai proposée en mariage au chef de mon village, mais il m’a dit qu’une telle beauté n’était digne que de l’Empereur. Consentirais-tu à l’épouser ?
- Certes, lui répondit celui-ci, je suis parfaitement informé et je sais que ta fille est belle, belle comme la pleine lune. Tu voudrais que je l’épouse car tu me crois riche et puissant. Mais regarde dans le ciel, le Soleil qui éclaire la terre entière de ses rayons est beaucoup plus puissant que moi. Propose donc ta fille en mariage au seigneur Soleil.
 
Ainsi fit le paysan qui dit au Soleil :
- J’ai une fille belle, belle, mais belle comme la lune en son plein. L’Empereur m’envoie vers toi pour que je te la propose en mariage. Voudrais-tu l’épouser ?
- Tu me proposes ta fille en mariage car tu me crois plus puissant que l’Empereur, tu me crois le plus puissant de la création entière. Mais regarde, un simple petit nuage arrête ma course vers la terre et m’empêche d’atteindre le sol. Ce petit nuage est plus puissant que moi, c’est à lui qu’il faut offrir ta fille en mariage.
 
Ainsi fit le paysan qui dit au petit nuage :
- J’ai une fille belle, belle, mais belle comme la pleine lune. Le Soleil m’envoie vers toi pour que je te la propose en mariage. Voudrais-tu l’épouser ?
- Tu me proposes ta fille en mariage car tu me crois plus puissant que l’Empereur, tu me crois plus puissant que le soleil. Mais regarde, le vent me pousse jusqu’à la haute montagne là-bas, à l’horizon. Inévitablement, elle arrêtera ma course. Cette montagne est plus puissante que moi. Va la trouver de  ma part et offre lui ta fille en mariage.
 
Ainsi fit le paysan qui dit à la montagne :
- J’ai une fille belle, belle, mais belle comme la lune en son plein. Le nuage m’envoie vers toi pour que je te la propose en mariage. Voudrais-tu l’épouser ?
- Tu me proposes ta fille en mariage car tu me crois plus puissant que l’Empereur, plus puissant que le Soleil, plus puissant que le nuage. Certes, je suis une montagne majestueuse et dominatrice... mais depuis longtemps je ressens à ma base un grattement imperceptible, une démangeaison... En regardant de plus près, je me suis rendu compte qu'un petit animal minuscule creusait à ma base ; à force de patience et d’obstination, sous ses coups, je m’effrite et je m'écroulerais fatalement tôt ou tard... Ce petit animal est plus puissant que moi ! Propose-lui ta fille en mariage
 
Et c’est ainsi que la fille du paysan épousa le Tailleur de Pierre !
 
C’est ici le rêve dans le rêve en quelque sorte. Le paysan rêve d’un autre sort que le sien pour sa fille. Qui n’en ferait autant ? Tant d’hommes ne voudraient pas que leurs enfants connaissent le sort qui est le leur. La fille du paysan, apparemment, se soumet à la décision de son père. Est-elle habituée à subir ? Son père, bien qu’il soit ambitieux pour elle, ne peut aller contre la destinée de sa fille qui est d’épouser le tailleur de pierre.
Notre aveuglement, notre entêtement nous entraîne souvent dans un long labyrinthe aux multiples impasses, aux détours inutiles qui nous ramènent toujours à ce qui doit advenir par nécessité, puisque nous nous sommes incarnés pour vivre cela.
 
 

[1] - D’après un conte derviche, rapporté aussi par Henri Gougaud dans L’arbre d’amour et de sagesse - Seuil, 1992 Il existe également une version persane.
[2] - Carlos Castaneda, Le Don de l’Aigle, Gallimard, 1982.


Voici ce qu’il advint à cet apprenti-druide, dans les temps anciens qui sont semblables en cela au temps présent !

LA CRUCHE

 
 
 
Il était une fois un jeune apprenti-druide qui vivait auprès de son vieux maître dans une caverne reculée, au fond d’une forêt quasi impénétrable. Le druide était plongé très souvent dans une profonde méditation dont il sortait rarement.
Un jour, il ouvrit les yeux et dit au jeune homme :
- Prends la cruche, là, et descends à la rivière me chercher un peu d'eau car j'ai soif.
 
Le disciple prit la cruche, la porta à son épaule et suivit un étroit sentier qui serpentait dans la forêt.
Lorsqu'il plongea sa cruche dans l'eau fraîche de la rivière pour la remplir, il aperçut, dans l'eau, le reflet d'une jeune femme qui, elle aussi, remplissait sa cruche sur la rive opposée.
Il leva les yeux et fut ébloui par sa beauté.
Lorsque celle-ci se releva et partit avec sa cruche en équilibre sur la tête, il posa la sienne et, l'abandonnant là, traversa la rivière. Il la suivit quelques pas, puis il lui proposa de porter pour elle la cruche d'eau jusqu'à son village.
Chemin faisant, ils lièrent conversation. Ils se sentirent attirés l'un vers l'autre...
Tant et si bien que le jeune homme s'installa au village, se mit à cultiver la terre, construisit une cabane assez vaste et demanda la jeune fille en mariage. Il l'épousa.
Tout était merveilleux. Ils eurent des enfants, et les années passèrent...
 
Mais, au fil des ans, la terre devenait chaque jour plus ingrate et dure à travailler, les enfants plus turbulents, plus insolents, plus avides et plus exigeants, la femme plus acrimonieuse...
Tant et si bien que notre homme se sentit de plus en plus mal à l'aise.
 
Il avait oublié depuis fort longtemps son vieux maître... Au vrai, il n'y avait plus jamais pensé !
 
Or, un jour où sa femme avait été particulièrement désagréable, où ses enfants avaient été encore plus exigeants, où le travail de la terre avait été encore plus éreintant, il descendit machinalement vers la rivière. Il aperçut sur l'autre rive une cruche abandonnée.
Sans trop savoir ce qu'il faisait, il la remplit, la porta à son épaule et partit par un étroit sentier sinueux qui s’enfonçait profondément dans la forêt.
Arrivé dans un endroit quasi impénétrable, il vit l'entrée d'une grotte.
Sans trop savoir ce qu'il faisait, il y pénétra. Là, il vit un vieil homme plongé dans une profonde méditation. Celui-ci ouvrit alors les yeux et lui dit :
- Ah ! C'est bien ! Tu as été me chercher de l'eau... Je vais en boire une gorgée car j'ai soif... 
[1]
 
La destinée du jeune disciple est tout à fait banale. Pas d’exploit ni de hauts faits ! Il vit simplement l’incarnation dans la matière. La terre est donnée pour cela. Certains fuient dans un monastère, dans un ashram, rentrent dans leur grotte et ne veulent pas se connaître à travers toutes les dimensions de la condition humaine qui inclut le pulsif de vie en l’animal humain avec toutes les exigences de la chair. Mais la conscience est absente et seul agit le destin qui ne doit pas être contrarié pour se produise la chose juste en juste temps.
Plus profondément, le vieux maître, c’est le Soi. Il envoie cette partie de Lui qu’est le jeune disciple expérimenter la condition humaine sur terre. Elle a soif de se manifester.
Du non manifesté, l’âme descend dans la vallée du corps et, ayant tiré les leçons de choses de son incarnation, elle retournera sans même s’en rendre compte, à sa Source ! L’Oiseau du Bas ne peut faire autrement en fin de « conte » que de retourner à l’Unité avec cet Oiseau du Haut qui est Lui.

 

Le temps est nécessaire pour cela ; c’est sa grande fonction, permettre la maturation. C’est une nécessité pour que l’Amour atteigne sa plénitude. Les Sentiments, dit don Juan à Castaneda, ont leur siège dans le plexus solaire alors que la volonté se place dans le hara.
 

LE TEMPS

AU SERVICE DE L’AMOUR

 
 
 
Il était une fois, une île où tous les différents Sentiments vivaient en bonne intelligence : Bonheur, Tristesse, Savoir, ainsi que tous les autres, Amour y compris.
Un jour on annonça aux Sentiments que l'île allait couler. Ils préparèrent donc tous leurs bateaux et partirent.
Seul Amour resta. Amour voulait rester jusqu'au dernier moment, comme il se doit.
Quand l'île fut sur le point de sombrer, Amour décida d'appeler à l'aide.
 
Richesse passa à côté de l’Amour dans un luxueux bateau. L'Amour lui dit :
- Richesse, peux-tu m'emmener ? 
- Non, car il y a beaucoup d'argent et d'or sur mon bateau. Je n'ai pas de place pour toi.
 
Amour interpella alors Vanité, qui passait aussi dans un magnifique vaisseau :
- Vanité, aide-moi, je t'en prie ! 
- Je ne puis t'aider, Amour. Tu es tout mouillé et tu pourrais endommager mon bateau. 
 
Tristesse étant à côté, Amour lui demanda :
- Tristesse, laisse-moi venir avec toi. 
- Oh... Amour, je suis tellement triste que j'ai besoin d'être seule ! 
 
Bonheur passa aussi à coté d'Amour, mais il était si heureux qu’il n'entendit même pas Amour l’appeler !
 
Soudain, une voix dit :
- Viens Amour, je te prends avec moi. 
C'était un vieillard qui avait parlé.
Amour se sentit si reconnaissant et plein de joie qu’il en oublia de demander son nom au vieillard. Lorsqu’ils arrivèrent sur la terre ferme, le vieillard s'en alla.
 
Amour réalisa combien il lui devait et demanda à Savoir :
- Qui m'a aidé ? 
- C'était le Temps, répondit Savoir. 
- Le Temps, s'interrogea Amour, mais pourquoi le Temps m'a-t-il aidé ?
Savoir sourit plein de sagesse, et répondit :
- C'est parce que seul le Temps est capable de comprendre combien l’Amour est important dans la Vie.
[2] 
 
Oui, que de temps nous faut-il pour mûrir ! Mais le temps est au service de l’Amour. Richesse, Vanité, Tristesse, et tous les autres Sentiments doivent se dissoudre pour laisser place à l’Amour, pas aux ersatz que l’on connaît trop. C’est la fin des émotions, humaines s’entend, pour l’Emotion sans émotions et non pas la dureté de cœur qui la caricature.

 

En Orient plus particulièrement, elle a nom Compassion comme le rappelle ce conte traditionnel indien.
 

 
LA COMPASSION

DU BOUDDHA
 
 
 
Il était une fois... Mais est-ce bien un conte ?
Gautama le Bouddha fut traversé un jour par un tel élan de compassion qu'il sortit du Nirvana dans lequel il était plongé depuis des siècles et des siècles du temps de la Terre. Il ouvrit les yeux et du haut du Ciel regarda ce qui se passait en ce bas monde. Il vit alors, sous lui, l'entrée des Enfers où sont plongés pour des souffrances que l'on dit éternelles les humains qui, en ce monde, ont commis des mauvaises actions.
Et là, il aperçut, à l'entrée de cet énorme gouffre, un pauvre hère qui, à force de courage, d'audace et d'obstination, avait réussi à se hisser presque jusqu'à l'air libre.
Mais jamais, jamais, au grand jamais, il ne pourrait réussir une ascension aussi périlleuse et pour tout dire impossible à un simple mortel.
Jamais, jamais, au grand jamais, il ne pourrait atteindre le ciel bleu et les cimes de la beauté suprême...
 
Gautama le Bouddha ressentit pour lui un tel élan de compassion qu'il décida, si cela était en son pouvoir, de lui prêter aide et assistance.
- Si je trouve, se dit-il, si je trouve dans la vie de cet homme une seule bonne action, il me sera permis de l'aider...
Aussitôt la vie du pauvre hère défila devant les yeux du Bouddha.
Hélas ! C'était une vie de rapines et de crimes...
Mais en regardant de plus près avec son Cœur compatissant, le Bouddha vit que cet homme, un jour sur le chemin, avait détourné son pied pour ne pas écraser une simple araignée, une descendante de la petite araignée Anansé.
- Ah ! Je peux donc lui venir en aide, pensa avec une joie incommensurable le Bouddha.
 
Aussitôt, du haut du ciel, il jeta en direction de cet homme une longue, longue, longue corde, mince comme... un fil d'araignée, pour lui permettre de se hisser jusqu'au ciel.
Avec quelle hâte l'homme se saisit de la corde !
Avec quelle vigueur il se mit à grimper !
Avec quelle énergie il se hissa mètre après mètre !
Ce n'est pas racontable !
Il montait, montait toujours...
Une fois, il se retourna. Sous lui, l'abîme était immense. Il fut pris d'une sorte de vertige, mais il se ressaisit et monta, monta encore, tous ses muscles crispés par l'effort.
Soudain, il sentit sous lui la corde se tendre, elle devenait comme lourde, de plus en plus lourde, de plus en plus tendue, de façon inquiétante.
Malgré sa peur du vide, il s’immobilisa et, dominant sa frayeur, il regarda sous lui. Là, il vit, au-dessous de lui, sortant des enfers, quantité et quantité de gens qui, à leur tour, saisissaient la corde et se hissaient à la force des poignets et grimpaient, grimpaient...
Ils étaient en nombre incommensurable...
C'était une horde, une armée... C'était l'humanité entière qui surgissait du néant et à sa suite, grimpait vers le ciel.
Le pauvre hère fut pris d'une panique terrible. Il sentait mètre après mètre la corde devenir plus lourde, plus lourde. Elle était mince et souple, et voilà maintenant qu'elle se tendait à se rompre sous cette masse qui grandissait à chaque instant !
Ce n'était pas possible... Elle allait se rompre et il allait être, à cause d'eux, précipité de nouveau dans les enfers !
- Non, non, non... se dit-il.
Alors, dominant sa peur du vide, il s'immobilisa, s'arc-bouta, sortit un couteau de sa poche et, se penchant, trancha net sous lui la corde qui s'allégea aussitôt d'un poids immense...
 
Lorsqu'il reprit son ascension, la corde se rompit ! 
 
 
L’Enfer, c’est la rupture d’avec le Ciel, d’avec l’Unité du Tout. Certes, nous ne sommes rien sans les autres et dès que, par égoïsme, nous nous coupons d’eux, les conséquences inévitables surviennent ; nous retombons dans notre enfer ; c’est une des lois de la vie. Si non, nous entraînons les autres vers les hauteurs de nous-mêmes.
Quant au Bouddha, il n’attache d’importance qu’à l’action juste, fut-elle infime, et tend autant de Fils que nécessaire à chacun, Fils qu’il faut savoir saisir…
Longtemps la fin de cette histoire ne me parut pas satisfaisante cependant. Puis un jour, une autre fin se présenta qui prit cette forme :
 
Alors, dominant sa peur du vide, il s'immobilisa, s'arc-bouta, sortit un couteau de sa poche et, se penchant, voulut trancher net la corde sous lui ! Mais celle-ci, souple comme un fil d’araignée certes, était cependant plus dure que l’acier. La lame s’ébrécha. Comme notre homme redoublait d’efforts dans son geste insensé, il perdit l’équilibre et retomba dans les enfers.
Mais, grâce à lui, beaucoup d’hommes et de femmes purent ce jour-là monter jusqu’aux cimes de la beauté suprême.
 
Avant que de chuter ou de s’arrêter en chemin, beaucoup permettent à d’autres de franchir un pas décisif ! Cela leur sera par la suite porté à crédit par la vie toujours généreuse et générante.
Mais ici, la Compassion du Bouddha n’est-elle pas encore sous-estimée ? Voici la dernière version de la phrase finale :
 
Mais aussitôt, tout en bas, une multitude de bras se levèrent pour amortir sa chute. Notre homme put, avec eux, reprendre le fil de son ascension, et tous furent sauvés…
 
Cela rejoint la profession de foi du Père Teilhard de Chardin qui disait :  « je crois à l’enfer, puisque l’Eglise l’impose, mais je crois qu’il est vide » ! J’ajouterais, même de toute entité nommée « diable » ou « Satan »…


[1] - D’après un enseignement traditionnel oriental.
[2] - D’après un conte rapporté par Henri Gougaud.

 



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