Contes, mythes et légendes,
"Manifestation vivante de la Vie Unique",
dits par Régor au gré de la Vouivre

ContesBaton.JPG
 
 
CONTES SUR

LA RECHERCHE DU MAÎTRE

ET SUR L’INITIATION

 
 
Après avoir suivi quantité de chemins qui se terminent invariablement en impasse, celui qui ressent un appel à quitter la contre-nature doit renoncer à toute prétention !
« Quand l’élève est prêt, le Maître vient… » affirme la Baghavad Gîta. Mais qui connaît la suite ? « …et le Maître depuis longtemps connaissait le disciple » ! Dès lors, inutile de chercher !
Khizr est l’Initiateur par excellence pour les Soufis, ces Fidèles d’Amour de l’Islam, et beaucoup d’entre eux le  rencontrèrent sur leur chemin de manière souvent mystérieuse. Il fit irruption dans la vie du jeune Moïse qu’il connaissait très bien ; celui-ci dut convenir, à la suite des multiples péripéties qui vont être contées, qu’il n’était pas capable de « voir » comme il convient... avec l’Œil du Cœur.
Une sourate du Coran relate brièvement cette histoire :
 
 
MOÏSE ET KHIZR
 

 
Moïse était encore un tout jeune homme lorsqu’il fit la rencontre de Khizr, l’initiateur qui apparaissait toujours on ne sait comment sur le chemin de qui en était digne.
Moïse se sentait appelé à un grand destin, aussi demanda-t-il à Khizr de suivre son enseignement.
- Tu n’es pas prêt, lui répondit celui-ci, tu n’es pas prêt ! Je ne peux encore te prendre avec moi !
Moïse insista tant et tant qu’à la fin Khizr lui dit :
- Eh bien, tu me suivras durant trois jours et trois nuits, ainsi tu verras par toi-même que tu n’es nullement prêt ! Mais tu dois me promettre de m’obéir en tout sans jamais une hésitation et sans poser aucune question.
Moïse promit qu’il en serait ainsi.
Ils partirent vers l’est et marchèrent tout le jour.
 
A l’approche de la nuit, ils arrivèrent devant un fleuve large et majestueux. Un passeur les prit dans sa barque pour rejoindre l’autre rive et cet homme, reconnaissant Khizr, ne voulut accepter aucun salaire.
Le passeur attacha sa barque au rivage et regagna sa demeure, sa journée terminée. Nos deux pèlerins continuèrent leur chemin. A peine eurent-ils parcouru quelques centaines de mètres que Khizr dit à Moïse :
- Retourne sur tes pas, va jusqu’au rivage, prends ton couteau et fais un trou dans le fond de la barque du passeur afin qu’elle coule et soit inutilisable.
Moïse fut stupéfait, pâlit et eut beaucoup de peine à retenir les mots qui montaient sur ses lèvres. Il se contint cependant, fit demi-tour et exécuta l’ordre. Mais, sur le chemin du retour, sa tête bouillonnait. Aussi, lorsque Khizr fut à portée de voix, il l’apostropha violemment :
- Je ne comprends pas ! Cet homme nous fait traverser le fleuve, il n’accepte même pas un salaire de notre part, et toi tu m’ordonnes de couler sa barque au fond du fleuve !
- Tu vois, je te l’avais bien dit ! Tu n’es pas prêt ! Nos chemins se séparent ici !
Mais Moïse insista tant et tant, promit de nouveau de ne plus poser aucune question et d’obéir sans discuter qu’à la fin Khizr lui dit :
- Faisons un nouvel essai. Mais je sais que tu n’es pas prêt !
 
Ils dormirent sous les étoiles, marchèrent tout le jour suivant pour arriver le soir dans la capitale d’un grand royaume. Le roi de ce pays leur offrit l’hospitalité et les invita à se joindre, le lendemain matin, à une grande chasse dans ses forêts.
A l’aube, ils chevauchèrent en compagnie du roi, de son fils et de tous les princes de leur cour. Lorsque les cavaliers les distancèrent, Khizr et Moïse se retrouvèrent seuls avec le fils du roi. Il se produisit alors un événement étonnant. Khizr manœuvra son cheval de telle façon que le cheval du prince s’emballa ; le jeune fils du roi fut projeté si violemment à terre qu’il se releva en boitant, la hanche gravement blessée.
Lorsque Moïse se retrouva seul avec Khizr, il ne put se contenir :
- Je ne comprends pas ! Ce roi nous offre l’hospitalité, et toi, pour le remercier, tu provoques un accident ! Son fils est maintenant infirme pour le reste de sa vie !
- Tu vois, je te l’avais bien dit ! Tu n’es pas prêt ! Nos chemins se séparent ici !
Mais Moïse insista tant et tant, promit de nouveau de ne plus poser aucune question et d’obéir sans discuter qu’à la fin Khizr lui dit :
- Faisons un troisième et dernier essai. Mais je sais que tu n’es pas prêt !
 
Ils repartirent sur les chemins. Le soir venu, ils arrivèrent dans un petit village où ils demandèrent l’hospitalité, le gîte et le couvert. Les habitants les chassèrent en les insultant et en leur lançant des pierres ! Ils se réfugièrent dans une maison en ruine, isolée du reste du village. Ils durent jeûner ce soir-là. Lorsque Moïse s’apprêta à dormir, Khizr lui dit :
- Tu vois, là, ce mur en ruine, il va bientôt s’écrouler si nous ne faisons rien. Prends de l’argile, de l’eau et des pierres et consolide-le.
Moïse eut bien du mal à obéir. Il le fit cependant, mais, une fois l’ouvrage terminé, il ne put retenir l’indignation qui montait sur ses lèvres :
- Je ne comprends pas ! Ce soir, les gens de ce village nous refusent l’hospitalité, nous insultent, nous chassent à coup de pierres, et toi tu me demandes de réparer le mur de cette masure en ruine !
- Tu vois, je te l’avais bien dit ! Tu n’es pas prêt ! Nos chemins se séparent ici !
 
Moïse, le cœur gros demanda :
- Au moins, Maître, dites-moi les raisons de votre comportement.
- Voilà ! dit Khizr : un envahisseur avec son armée devait arriver sur les bords du fleuve et réquisitionner toutes les barques pour ses troupes. En coulant la barque du passeur, tu as fait en sorte qu’elle ne puisse être réquisitionnée. Il n’aura eu que le mal de reboucher le trou pour pouvoir s’en servir !
- Je ne savais pas, bredouilla Moïse.
- Lorsque le fils du roi est tombé de cheval, j’ai mis fin à ses ambitions ! Il s’apprêtait à faire un coup d’état pour prendre le pouvoir à la place de son père, souverain juste pour son peuple. Or, dans ce royaume, selon la coutume, un infirme ne peut régner.
- Je ne savais pas, bredouilla de nouveau Moïse.
- Quant à cette masure en ruine, elle appartient à deux jeunes orphelins qui ont été dépossédés de leur héritage par leur oncle. Dans ce mur quelques pièces d’or ont été cachées par leurs parents et ils les trouveront quand ils seront majeurs. Si le mur s’était écroulé, leur oncle sans nul doute aurait mis la main sur le trésor.
Moïse cette fois garda le silence.
- Tu vois ! Tu n’es pas encore prêt. Va, et suis ton chemin, lui dit Khizr.
 
 
Cette histoire est contée en quelques lignes dans l’une des sourates du Coran et beaucoup de soufis l’ont développé à leur gré.
L’Initiation authentique est une voie « non humaine », comme l’a rappelé si justement René Guénon
[1]. Seul le Connaissant sait de Source sûre et incarne en acte ce qui se doit ! Les autres sont ballottés par l’enchaînement sans fin des causes et des conséquences, sans comprendre véritablement ce qui se passe. Il y a un « voir » qui n’a rien à voir avec les yeux. Ce qui paraît « bien » ou « mal » n’est tel qu’à cause de nos limitations, à cause de notre myopie congénitale depuis l’erreur à l’égard de l’Origine. Agir en Connaissance de Cause, de la Cause unique, Cause de toutes les causes, c’est atteindre à la justesse, c’est incarner la divinité qui nous habite, sans notion… Traversé par l’inspiration, mais certain de sa Source, il arrive le plus souvent que le Connaissant ne sache rien des raisons  de ce qui lui est demandé de dire ou de faire ! Il dit et il fait…
 
Certes, il vaut mieux encore partir à la recherche de la vérité que stagner dans son marigot. « Qui cherche trouve », dit le proverbe populaire. Mais il ne trouve que ce qu’il cherche, le connu de lui ! Les apparences trompent celui qui est imbu de lui-même.
Qui peut se croire prêt à la Rencontre avec le Serviteur de Lumière ? Beaucoup cherchent, mais « plus tu cherches, moins tu as des chances de trouver » a-t-il été rappelé par Maître Eckhart et tant d’autres ! Tu tournes en rond sans pouvoir arrêter cette ronde souvent infernale.
« Le Trouvère trouve », a-t-il été dit. Qui ne cherche que le pouvoir à exercer passe souvent à côté, faute d’humilité peut-être… ou bien le trouve… hélas ! Le « Pouvoir » de l’univers n’a rien à voir avec l’ego mineur, comme l’enseigna don Juan à Castaneda.
J’en veux pour preuve ce qui est advenu à ce jeune druide imbu de lui-même, victime de sa volonté aveugle et de sa vanité.
Le voici parti…
 
 
À LA RECHERCHE

DE MERLIN
 
 
Il était une fois, au temps lointain où Merlin n’avait pas encore disparu dans le palais de verre de la fée Viviane, un jeune druide qui, attiré par sa grande notoriété, voulait devenir son disciple.
Il entreprit un long voyage, hasardeux en ces temps-là, pour venir dans la forêt où Merlin vivait sa folie. Il s’aventura avec courage dans le lieu le plus sauvage où, lui avait-on dit, le Magicien s’était retiré. Il était las, fatigué et perdu, lorsqu’il eut la surprise de rencontrer un homme simple qui, son panier à la main, cueillait des herbes et ramassait des champignons.
- Savez-vous, lui demanda le voyageur, où je pourrais rencontrer Merlin ? Je suis venu de fort loin pour devenir son disciple et apprendre de lui toute la science qu’il possède.
- Merlin est prêt à vous recevoir, il est là à vous attendre, répondit notre homme. Il habite la caverne toute proche.
- Puis-je y entrer pour l’attendre ?
- Certes ! Il répond à toutes les questions qui lui sont posées par celui qui le rencontre.
Le druide attendit longtemps dans la caverne. Merlin mit les herbes qu’il avait cueillies à sécher ; il fendit du bois, alluma le feu sous le chaudron et mit à cuire les champignons qu’il avait ramassés. Il entra et sortit plusieurs fois de la caverne silencieusement.
Le jeune druide n’eut pas un regard pour cet homme qu’il jugea être le domestique. Il s’impatienta de plus en plus mais ne s’abaissa pas à demander quoi que ce soit.
A la tombée du jour, furieux, il quitta la caverne pour continuer à chercher celui dont il ne doutait pas de devenir le meilleur disciple !
 
Le Maître se présente rarement de la manière convenue. Il n’est jamais tel que l’on a pu l’imaginer, nourri souvent par des récits qui font la part belle au fantastique, à l’extraordinaire. Non pas que ce dernier aspect n’existe pas, mais il naît de la manière la plus banale !
A moins que vous ne cherchiez un maître qui a pignon sur rue, qui tient boutique et n’offre que des choses pratiques. Mais il ne vous emmènera pas plus loin que là où il est ! C’est parfois utile pour un bout de chemin… Mais son chemin à lui ne peut être longtemps le vôtre et, tôt ou tard, se découvre la voie unique qui vous est personnelle.
Le Maître ne se laisse découvrir comme tel qu’à celui qu’il sait mûr et prêt à être cueilli. Et encore, si celui-ci lui en fait la demande… Il ne propose aucun chemin et il est de ce fait impraticable.
 

 
Ici, un vieil ami de Merlin, un ami qui le connaît de Source sûre, le rencontre au-delà des apparences et transcende la souffrance due à sa maladie.
 

 
LE DRUIDE MALADE
 
 
Il y avait dans un village reculé de Normandie, un druide qui vouait une profonde admiration à Merlin du fait de sa sagesse. Il arriva que, sous l’effet du sort, ce druide soit atteint d’une maladie des yeux et ses cornées s’injectèrent de sang. Il devint aveugle et fut traversé de grandes souffrances auxquelles vinrent s’ajouter une surdité profonde.
 
Au bout de quelques jours, la douleur l’éprouvant durement, sa patience faiblit et il fut comme hors de lui.
Quelqu’un prévint Merlin qui vint à son chevet, secrètement. Il défendit que le druide fût informé de sa présence.
Aussitôt que Merlin fut assis à son chevet, le druide sursauta, ouvrit les yeux, se leva joyeusement, touché malgré lui par sa sollicitude.
 
Après le départ du Magicien, quelqu’un lui demanda :
- Du fond de ta détresse, toi dont l’âme était comme partie, toi aveugle et sourd, toi accablé de douleur, comment as-tu su que Merlin était auprès de toi ?
- Qu’ai-je besoin d’entendre ? Qu’ai-je besoin de voir ? Mon âme a reconnu le parfum de sa présence. Tu devrais chercher la douleur de tes yeux, toi qui souffres d’un mal d’yeux cuisant et qui est plus aveugle que moi !
Si le parfum de la Connaissance arrive jusqu’à toi, tu oublieras tout ce qui n’est pas elle. Tu sauras qui Il est ! Un seul des rayons de la connaissance a la clarté de cent soleils. Si tu recevais un seul atome de l’Amour divin, comment pourrais-tu retenir ta joie ? »
 
Tout est dit ! La discrétion du Maître, la réceptivité du Druide… Ceux qui se sont intéressés aux Maîtres Soufis auront reconnu un conte d’Attar. Pourquoi la vérité ne prendrait-elle pas toutes sortes d’habits ?
Quelques personnes qui se prennent un peu vite pour des chamans, des druides ou des guérisseurs, ont entendu conter ces soi-disant contes celtes au pied des menhirs bretons ou normands ! Certains furent touchés aux larmes. La vie est pleine d’humour. L’humour ? C’est l’antichambre de l’Amour ! L’important n’est-il pas que les rappels soient faits ?
 

 
Alors, goûtez ce conte… avec humour ! Qui peut prétendre jamais dire être prêt  à l’initiation authentique et véritable, c’est-à-dire au retour à la Source Initiale, à l’Existence au-delà des temps ?
C’est pourquoi, « mieux vaut sa propre loi d’action, même imparfaite que la loi d’autrui, même bien appliquée. Mieux vaut périr dans sa propre loi ; il est périlleux de suivre la loi d’autrui. » enseigne la Baghavad Gîta
[2].
L’histoire suivante illustre à merveille cet enseignement.

 
 
LE MOINE IVRE
 
Un moine sortait chaque soir à la dérobée de son monastère ; il rejoignait la taverne en traversant le pont qui franchissait la rivière et séparait le couvent du village ; il rentrait fort tard, complètement ivre.
Cela dura longtemps jusqu’à ce que le supérieur du couvent, enfin mis au courant des frasques de son moine, se décida à agir, pour son plus grand bien, pensait-il. Il convoqua le moine et lui conseilla avec insistance de diminuer chaque soir sa consommation de vin jusqu’à la faire cesser progressivement, ainsi immanquablement redeviendrait-il sobre.
Le moine promit.
Le soir même, il se rendit à la taverne comme à l’accoutumée. Le supérieur veilla et pria en attendant le  retour de son moine. Les heures passaient. Celui-ci ne revenait toujours pas. Anxieux, le supérieur décida d’aller au-devant de lui.
Quelle ne fut pas sa surprise, en traversant le pont franchissant la rivière de voir, tombé dans l’eau, son moine à moitié noyé ! Il descendit sur la berge, l’aida à se sortir de là et le tança vertement :
- Je t’avais demandé de boire moins !
- Eh oui ! C’est ce que j’ai voulu faire… D’habitude, je bois trois pichets de vin et, en revenant au monastère, je vois trois ponts. Je prends celui du milieu. Ce soir, je n’ai bu que deux pichets, mais au retour j’ai vu deux ponts ! Je n’ai pas su lequel prendre et je suis tombé dans la rivière !!!
 
Rien n’est plus sérieux souvent qu’une simple plaisanterie ! Cela ramène déjà au bon sens, très terre à terre certes, mais nous sommes dans l’incarnation pour cela.
Combien de fois ne croyons-nous pas agir pour le bien de l’autre sans voir qu’on peut le précipiter dans une situation pire encore ? Lorsque nous nous en remettons à un autre pour le choix de notre conduite, il y a une forme de démission qui est rarement juste, à moins qu’il ne s’agisse d’une obéissance éclairée, mieux qu’une obéissance, une adhésion du cœur, à un Maître authentique.
Assumer ses choix et leurs conséquences est nécessaire pour apprendre les leçons de choses de l’existence. Aussi n’est-il pas si paradoxal que cela de parler de l’initiation à travers cette histoire d’ivrogne. D’ailleurs, nous reviendrons sur une autre ivresse par la suite…
 

[1] - Voir Aperçus sur l’Initiation - Editions Traditionnelles, 1980.
[2] - Paroles de Krishna, III, 35, traduction d’après Shrî Aurobindo, Ed. Librairie d’Amérique et d’Orient, Paris, 1979.
 



Créer un site
Créer un site