Contes, mythes et légendes,
"Manifestation vivante de la Vie Unique",
dits par Régor au gré de la Vouivre

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Khezr et Elie

en Quête de l’Eau de la Vie
 
 
 
Cette « Quête de l’Eau de Vie » est aussi contée d’une autre façon tout aussi extraordinaire par les gens de Roum : Khezr partit avec le prophète Elie ; « ils découvrirent une source et s’installèrent sur le bord pour manger le pain et le poisson salé qu’ils portaient dans leur sac.
Un geste maladroit !
Le poisson sec tomba dans l’eau.
L’un des deux - mais lequel ? - descendit dans la source et « quand le poisson fut dans sa main, il était vivant[1] » !
Ils burent alors de cette eau de Vie.
Quelle merveille !
L’eau avait rendu vivant le poisson mort !
Mieux encore, la merveille des merveilles, « le poisson mort avait montré la voie vers la source de vie[2] » qui était là mais qu’ils ne voyaient pas !
 
 
 
 
Khezr et Elie à la Source de la Vie.
Miniature persane, école de Hérat, seconde moitié du Xe siècle,
Persian Miniatuez « Painting », Oxford, 1933, pl. LXI.

C’est la Matière la plus anodine qui guide le plus souvent même les plus subtils et les plus clairvoyants. « L’Esprit et la Matière sont une seule et même chose à des degrés de cristallisation différents[3] ». Tout est vivant, même la matière dite morte ! C’est elle qui est porteuse de lumière ; voilà pourquoi il est constamment rappelé d’assumer la Matière, d’incarner et non pas de s’évader dans un spirituel désincarné.
La matière d’apparence la plus vile est témoignage de la vie re-suscitée.
La Vie n’est pas faite pour la mort, mais pour la Vie…
 
Quant à Alexandre, il disparaît « comme la lune dans la queue du dragon[4] » !
Il part pour le pays de l’obscurité, de l’opacité, il plonge dans le noir absolu, s’engloutit dans le dragon pour y chercher la perle d’immortalité, la substance de la Vie, la pierre philosophale dont il est dit qu’elle est « blanche, blancheur non Matière, blancheur non couleur[5] ».
Durant quarante jours[6], il « persévère dans la douleur et la difficulté[7] », mais il semble inapte aux « vastitudes de la conscience » et « dépense sa vie » sans succès avant de faire retour au pays de Roum.
 
 
 
 
 
Les énigmes posées par l’Ange
 
et la pierre du Paradis
 
 
 
Alors, « sur le chemin, un ange surgit devant lui et lui caressa la main. L’ange lui dit :
- “Tu as pris le monde entier d’un seul coup, et tu n’es pas rassasié de passions crues !”16 »  Cet ange lui remet une pierre minuscule en lui disant :
- « Efforce-toi de tirer de cette demeure de pierre une pierre de même poids que celle-ci. En vérité, tant de passions t’agitent que tu te rassasieras tout juste d’une pierre comme celle-ci ! »
Et il ajoute :
- « Garde cette pierre et tiens la pour précieuse[8] », c’est la pierre du paradis ! 
 
Quel est le sens de l’énigme posée à Alexandre par l’Ange ? Celui-ci, accompagnant la petite troupe sur le chemin du retour, dit aussi à chacun des membres de l’escorte du grand conquérant de ramasser du sable sur le chemin en leur posant cette énigme :
- « Quiconque en prend s’en repentira ; et celui qui n’en prend pas aura à se repentir plus encore17 » !
Certains en ramassent peu, d’autres beaucoup et, oh surprise ! arrivés à la lumière, les grains de sable se révèlent être des pierres précieuses, « des rubis rouges[9] » ! Tous sont insatisfaits et furieux, regrettant de ne pas en avoir ramassé plus[10] ! Comprirent-ils ce que l’Ange avait dit ?
 
A Alexandre, l’Ange n’a donné qu’une petite pierre, en rien précieuse, en forme d’œil ! Il lui a dit de la peser et de trouver une pierre de même poids ; mais lorsqu’il la place sur la balance, aucun poids n’est assez lourd pour l’équilibrer.
« Sur l’un des plateaux de la balance, il plaça la pierre, sur l’autre le poids d’or. Mais l’œil était plus lourd, et Alexandre eut beau rajouter sans cesse de nouveaux poids, la pierre pesait davantage. Bientôt le plateau fut rempli de métal précieux et Alexandre fit apporter une balance plus grande. Il mit en contrepoids avec la pierre du paradis non seulement de l’or, mais de l’argent, des pierres précieuses, tandis que les serviteurs apportaient toujours de nouveaux coffres emplis de nouveaux trésors.
- Tout ceci est peine perdue dit [l’ange]. Même si la balance pouvait supporter tous tes palais et la richesse que tu as amassée dans le monde, la pierre du paradis continuerait à peser plus lourd[11]. »
- « L’œil que tu as reçu du paradis est l’œil de l’homme de chair insatiable, toujours avide de nouvelles richesses et perpétuellement insatisfait.21 »
« L’homme pèse si lourd par ses désirs que rien ne peut en donner la mesure, alors qu’il n’est que poussière.21 »
L’ange lui dit alors de recouvrir la pierre de sable et de mettre dans l’autre plateau de la balance une simple poignée de terre, la juste “mesure” de cette pierre. Miracle ! L’équilibre s’établit. « La poignée de terre, c’est l’homme lui-même[12] ! « il suffit que l’homme meure et soit mis en terre pour que s’évanouisse tout désir de richesse[13] », c’est pourquoi il a toujours été dit de « mourir avant que de mourir[14] ».
 
Ainsi « Alexandre qui cherchait l’eau de vie ne l’a pas trouvée ; l’eau de vie est parvenue à Khezr qui ne la cherchait pas. Alexandre se hâte vers l’obscurité ; Khezr trouve auprès de l’eau la voie de la lumière ». A l’homme sans désir est octroyée connaissance et clarté dans l’obscurité ; à l’homme de désir, ignorance et aveuglement dans la lumière, cette lumière du soleil terrestre qu’Alexandre retrouve après quarante jours. A quoi bon courir après ce qui n’est pas ton lot ? « Toi, demeures, car le lot apparaît de lui-même[15] ». De cette quête, Alexandre se réjouit : « s’il ne trouva pas la vie éternelle, au moins, dans cette quête de la Vie, ne trouva-t-il pas la mort » !
 
 
Mais Toi, trouveras-tu la Vie ?
 
Traverseras-tu les ténèbres
pour trouver la Lumière de l’Eau de Vie ?
 
La Nuit, en arabe, se dit Leyl !
Elle est noire, cette Nuit comme la chevelure de Leyli…
Ou bien est-ce la chevelure de Leyli
qui est obscure comme elle ?
 
Fou que Tu Es, sauras-Tu être Fou d’Amour ?
Fou de Leyli ?
Fou de Dieu transformant
« les Chemins de la Vie en connaissance de l’Eternité »
« pour combler la terre de l’Essence même
de la Divinité qui est Amour[16] », Amour, Amour…
 
 

 

[1] « Métamorphoses alchimiques de la mort en littérature persane classique… », op. cit.,     p. 268.
[2] Idem, p. 269.
[3] Emmanuel-Yves Monin, Le Manuscrit des Paroles du Druide sans nom et sans visage, Ed. Y. Monin.
[4] Nezâmi, cité p. 267.
[5] Karuna, L’Instruction du Verseur d’Eau.
[6] Un quarante symbolique. Selon la Kabale des Kabales, dans 40 (Mem), le 4 tient enfermé le 10 (Yod) qui est la vie créatrice réalisée. « « L’absorption du Yod par l’action de la pensée est un aspect de l’inertie, et la force de l’inertie est un aspect de la présence omniprésente du 2 : c’est le 4. » (Carlo Suarès, La Kabale des Kabales, Méditation du Taw).
[7] « Métamorphoses alchimiques de la mort en littérature persane classique… », op. cit.,     p. 271.
[8] Idem, p. 272.
[9] Pour Nezâmi, le rubis rouge représente l’œuvre au Rouge.
[10] « Comment Alexandre devint sage », Contes Juifs racontés par Léo Pavlát, Gründ 1988. Les Juifs, jadis nombreux en Perse, ont travesti le roman d’Alexandre en conte et proposent une explication claire de la pesée intrigante et énigmatique de la pierre donnée à Alexandre par l’Ange !
[11] Contes Juifs, op. cit., p. 81.
[12] D’après Nezâmi, Le Roman d’Alexandre, op. cit.
[13] Contes Juifs, op. cit., p. 81.
[14] Hadith du Prophète.
[15] Nezami, cité dans « Métamorphoses alchimiques de la mort en littérature persane classique… », op. cit., p. 273.
[16] Platon le Karuna.
Par Régor - Publié dans : Conte
 



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