Contes, mythes et légendes,
"Manifestation vivante de la Vie Unique",
dits par Régor au gré de la Vouivre

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Quel est le but essentiel d’un Conte digne de ce nom ? Maintenir le mythe fondateur, maintenir la Tradition Primordiale, le souvenir de l’Origine et de ce qui était avant « l’erreur » à son égard, erreur de vouloir cueillir le fruit avant qu’il ne soit mûr ! Cette erreur n’a fait que produire la jalousie, le désir de puissance, le meurtre, toute la contre-nature humaine suicidaire actuelle. Elle aurait pu n’être qu’un feu de paille mais, par son entêtement, l’humain la transforme en faute aux conséquences désastreuses incalculables.
Seuls, les contes, les mythes et les légendes sont réels, chargés de l’essence des choses, au contraire de l’histoire événementielle qui se réfère au superficiel, à l’apparent. Ils proviennent de la Source, du plan causal de la manifestation terrestre, du Mémoire Cosmique. Ils sont illuminatifs, incarnationnels. Ils présentent les structures essentielles, archétypales, pour la compréhension de l’existence, et nous montrent comment devenir des mythes vivants. La raison humaine prétend rendre compte de tout, sans pouvoir comprendre la Cause Unique de ce « Tout », de ce qui Est, Vit et Produit. Et pour Cause ! Avant l’invention de l’écriture pas d’histoire humaine ! Quelle limitation insupportable, quel aveuglement ! Alors que déjà la première écriture cunéiforme connue était celle des tractations commerciales et financières ! Celles-ci ne firent ensuite que s’amplifier et se généraliser pour aboutir à cette logique qui fait de l’homme et de son travail des marchandises…, la robotisation et la déshumanisation.

Le mythe est la réalité ! Il vient de la Parole d’avant les paroles. Affirmation audacieuse et pourtant traditionnelle ! « Ce qui est » dépasse ô combien notre entendement habituel ! Le mot « Mythe » ne vient-il pas du grec mutos, signifiant « muet », « bouche fermée » ? Le mythe est archaïque, si ancien qu’il est « Principiel » au sens étymologique du mot.

C’est par un exemple que nous nous proposons d’illustrer cette vérité. Il est emprunté à la mythologie des Ashanti du Ghana. C’est un mythe fondateur, réécrit ici pour être conté, mais fidèle à l’essentiel du texte qui nous a été communiqué. C’est la vocation du conteur de se réapproprier un conte, de le traduire dans une langue compréhensible pour ses contemporains tout en ne trahissant pas l’Idée originelle.

Il est important de mentionner que la petite araignée Anansé est une araignée mâle, venant du Ciel et ensemençant la Terre. La vie n'aurait pu naître sur Terre si l'araignée avait été femelle !
Mais lisez…

 


LA PETITE ARAIGNÉE ANANSÉ

 
 
 
En ces temps reculés, la terre était encore déserte, pierreuse et stérile. La vie n’était pas encore sortie des vastes fleuves qui parcouraient les rives de ses déserts, des torrents qui dévalaient les pentes de ses montagnes arides, chaos de roches informes. Seule la petite araignée Anansé tissait vainement sa toile. 

Du centre de celle-ci, elle contemplait l’étoile solaire qui naissait au loin, à l’horizon, tout en haut des collines. Son regard accompagnait sa course jusqu’à la mort de son couchant ; elle tremblait de peur en la voyant disparaître et, toute la nuit, veillait et priait dans son désir de la voir renaître. Son cœur vibrait ; le soleil était devenu son bien aimé. Un désir immarcescible de monter jusqu’à lui lui fit tisser une toile énorme entre deux grands rochers. En vain.
Elle gravit alors la colline en tissant son fil afin de prendre le Bien-Aimé dans sa toile. Jamais elle n’était montée si haut ! Mais là, elle vit,  à l’horizon, les sommets d’une chaîne de montagnes à l’endroit où son Soleil naissant apparaissait.
 
Que faire ? Elle fixa une extrémité de son fil au sommet de la colline, et partit pour attacher l’autre extrémité là-bas, tout en haut du plus majestueux sommet. Elle n’hésita pas un instant, tant son cœur la portait vers celui qu’elle aimait. Elle marcha longtemps, gravissant des roches, traversant des déserts de pierre, toujours tissant le fil d’Ariane de son destin. Loin du pays qu’elle connaissait, une rivière lui barra la route, infranchissable ! Non, elle ne retournerait pas en arrière ! L’amour fut plus fort que l’angoisse ; sans savoir nager, elle se jeta dans le courant qui la porta sur la rive opposée. Les rayons du soleil Bien-Aimé la séchèrent dans l’instant et elle reprit son chemin. Elle atteignit, exténuée, le sommet convoité.

Elle avait tissé un fil d’une longueur incommensurable et lorsqu’elle calcula les dimensions que sa toile allait prendre, elle eut comme un vertige. A cet instant, elle vit que son ambition était démesurée, son amour impossible !
Jamais, jamais, au grand jamais, elle ne pourrait prendre le Bien-Aimé dans sa toile ; jamais, jamais, au grand jamais elle ne pourrait rejoindre l’élu de son cœur. Mais là, elle était plus près de lui ; elle décida d’y rester et de le contempler dans son voyage plus longuement que dans la plaine tout en bas. 
Elle passait chaque nuit à pleurer le chagrin de son absence ; l’avait-il oublié ? Elle passait chaque aube dans la joie de le voir naître. Il revenait pour elle ! Tout le jour, elle suivait avec passion sa course lente jusqu’à la mort de son couchant. Le temps s’était arrêté. Elle ne ferait rien d’autre éternellement.
 
Mais, un matin, une brise se mit à souffler tout en bas dans la plaine, soulevant le sable du désert. Le souffle du vent grandit et se transforma en tempête. Il escalada les collines, les pentes des montagnes, il arriva jusqu’au sommet. La petite araignée Anansé résista de toutes ses forces. Elle ne voulait pas quitter l’endroit où elle n’avait jamais été aussi près de son amour. 
Elle s’arc-bouta, plaqua son abdomen au sol, mais elle était très faible. Le vent la souleva ; elle ne tenait plus à la terre de sa naissance que par le long fil tissé durant son ascension. Il se rompit et elle fut projetée dans les airs. Elle montait, montait… Elle se rapprochait plus que jamais du soleil ! Ah ! Que n’avait-elle lâché prise plus tôt ! Elle montait vers lui ! Elle planait, continuant à dévider son fil, envahie par la chaleur de son amour qui grandissait encore, glacée jusqu’au sang par un froid terrible. La chaleur l’emplissait de joie ! Le froid mortel roidissait ses membres.
Elle montait, montait en se consumant. Que lui importait ! Elle hurla de bonheur et mourut dans l’extase.
 
Au moment où son amour fut à son paroxysme, le fil qu’elle avait tissé devint comme un éclair incandescent. Les débris carbonisés de son corps retombèrent dans la plaine désertique, tout en bas. Le vent dispersa ses cendres qui fertilisèrent le sol. 
Le soleil se leva et se coucha bien des fois ; un matin, il vit que, des cendres de la petite araignée Anansé, des pousses avaient surgies. Il les réchauffa des rayons de son amour pour qu’elles grandissent. Il leur donna tant de force qu’elles envahirent la terre.
Ces pousses devinrent des végétaux, puis des arbres.
Ces arbres devinrent des forêts.
Dans ces forêts apparurent des animaux, puis des humains.
Et toi et moi et chacun d’entre nous, nous descendons tous de la petite araignée Anansé.
Le monde est notre vaste toile. Où que nous allions sur la toile de ce monde, que l’amour nous y mène !
Et toujours il existera des fils qu’il faudra savoir saisir et d’autres qu’il faudra savoir lâcher… "


 

 
 
Tout humain actuellement est semblable à la petite araignée Anansé ! Quelle audacieuse affirmation ! Il me faut donc l’étayer. Il naît dans la contre-nature stérile, dans un chaos de guerres et de souffrances, et tisse vainement sa toile en suivant les conditionnements familiaux, sociaux, culturels et religieux du lieu de sa naissance. Même la religion exotérique établie est en très grande partie stérile puisqu’elle est aux mains des gens de la lettre qui en méconnaissent l’esprit, c’est-à-dire l’ésotérisme, et qui persécutent et mettent à mort depuis des siècles ceux qui se réclament de l’Esprit Vivant. Ces religions, dénaturées par les dogmes, les conventions, les croyances mentales, quelles qu’elles soient, ne sont plus des ponts vers l’existence au-delà du temps mais des impasses dans le labyrinthe inextricable qu’a créé le mental humain.
Cependant, le Soleil de l’Esprit parle à chacun, à sa mesure, malgré tout ! Le germe indestructible de l’Unité éternelle habite tout humain, enfoui il est vrai dans une mémoire cellulaire saturée par sept générations de déviances, de peurs, de désirs, de préjugés, voire de crimes.
Celui à qui parle l’Esprit peut ressentir pour lui une adoration forte, mais la confiance ne peut encore être entière ; la nuit du doute revient puisque la contre-nature qui l’environne éclipse sans cesse la lumière. La toile tissée avec de bonnes intentions dans un contexte malsain reste vaine. Le déploiement de pseudo-filières qui n’ont plus de racines traditionnelles s’avère une tâche ingrate, jugée nécessaire, mais dont les résultats ne peuvent qu’ajouter à la confusion. C’est pourquoi cette agitation reste vaine mais sert cependant de tremplin pour un au-delà lorsqu’elle reste sincère.
 
L’essentiel pourtant est cette sincérité du cœur et la persévérance. Cette volonté de ne plus pactiser avec ce qui est stérile, de le traverser, coûte que coûte, de quitter son rocher pour tenter l’ascension de la Montagne Sacrée. Certes le but est utopique, irréaliste, irréalisable, mais la volonté de croire qu’il y a une possibilité de dépassement est fondamentale. C’est d’ailleurs le Soleil de l’Esprit qui porte l’être sur les chemins, loin de ses routines et de ses sécurités mesquines !
Il est porté au meilleur de lui-même par l’énergie amour qui fait naître l’Amour véritable. Il ne calcule pas, se jette dans l’aventure humaine avec la confiance absolue qui le pousse à se dépouiller de tout.
Quelle prétention que de vouloir prendre l’Esprit dans la toile de ses raisonnements, de ses cogitations, de ses projections, de ses notions conditionnées ! Tâche absurde… et nécessaire ! C’est une passion pourtant ! Elle pousse au dépassement de ses limites, à l’exploration de son monde tant extérieur qu’intérieur, à l’étude et à la pratique, au spéculatif et à l’opératif.
Regardez comment agit la petite araignée Anansé ! Elle ne reste pas confinée dans son monde connu et limité. Elle se lance dans la vie, dans sa passion pour ce qui l’appelle, sans tergiverser, sans hésiter, sans revenir en arrière, sans crainte des dangers, sans peur de se jeter à l’eau. Folie certes ! Aveuglement, diront les moutons de Panurge ! Mais une énergie incommensurable la jette dans l’aventure, celle des Fous d’Amour. Alors, elle tisse, elle tisse, elle explore, elle va de l’avant, elle monte, croit-elle, vers ce Soleil de la Vérité qui la magnétise.
L’Age d’Or n’a-t-il pas été celui du culte du véritable Soleil, le Soleil de tous les Soleils, le Soleil du Cœur, celui qui ne fait pas d’ombre, le Soleil de la Vérité qui est « absence de dualité »
[1] ? C’est le Soleil radiant de l’Amour, Source de toute Vie, de toute Energie, de toute Intelligence, le Soleil de l’Esprit, Celui que chante Al-Hallâj, le martyr mystique de Bagdad :
« Un jour se leva le Soleil de Celui que j’aime
et Il ne connut pas de couchant car,
si le soleil du jour se lève de la nuit,
le Soleil du Cœur ne s’absente jamais. »
De ce Soleil, l’astre du jour n’est qu’un reflet, une image. Il y eut au début des temps, une langue « adamique », la loghah sûryâniyah, qui « est proprement, suivant l’interprétation qui est donnée de son nom, la langue de l’“illumination solaire”, shems-isrâquyah ; en fait Sûryâ est le nom sanscrit du Soleil…
[2] »
 
Mais au sommet de cette Montagne qu’Anansé a cru voir toucher le Soleil, elle doit se rendre à l’évidence… Jamais elle ne pourrait atteindre le but dont elle rêvait. Cependant, elle ne redescendra pas dans la vallée ! Impuissante certes, mais gardant dans l’intime de soi la confiance, ne détournant pas son regard d’un but inaccessible. Elle reste là où elle est, consciente de ses limitations, de l’impossibilité de faire davantage par elle-même, sans perdre son ultime direction d’intention. Elle se conduit, à sa mesure,  en parfaite « Fidèle d’Amour »…
Abdication de toute vaine agitation ! « Vanité, tout est vanité » dit l’antique sagesse de l’Ecclésiaste. Mais cela peut être traduit : «Tout est vent » ! Elle ne perd pas une minute de vue sa motivation. C’est alors que le miracle se produit…
Voilà qu’au moment où elle n’attendait plus rien, le Vent de l’Esprit se met à souffler. Quelle surprise ! Elle s’accroche à sa certitude ! Elle ne peut imaginer un au-delà de la condition où elle est. Alors, de toutes ses forces, elle résiste, ne voulant pas perdre le peu d’acquis qui lui reste. Comment oser s’abandonner à l’inconnu ? Ce n’est pas le paisible Soleil qui se manifeste, mais la violence d’une énergie qui fait peur !
L’Energie ne lui laisse pas le choix ! Mais si elle n’avait pas tissé ce fil apparemment inutile, elle n’aurait pu vivre cette ascension à laquelle elle avait renoncé.  Suspendue à son Fil, elle est enfin libérée de toute autre attache… Ce Fil, c’est la Corde d’Argent, ce cordon ombilical qui relie chacun à son Soi essentiel, divin. Elle va jusqu’au bout de sa destinée. Ne peut-on rapprocher le mot « Anansé » du mot grec Ananké, qui signifie « destin », « Fatum » ?
Chaleur du soleil et brûlure du froid, joie et terreur ! Brûlure du Feu, brûlure du grand froid, les extrêmes se touchent. Rien d’autre que Lui. Consumation, disent les alchimistes, destruction de tout le dévié, le faux, l’illusoire, le mayatique…
La mort à soi-même est à traverser. De toute façon, c’est l’Esprit qui décide, elle n’a plus aucun choix, si ce n’est l’acceptation de ce qui est…
 
C’est alors que la contre-nature stérile de la plaine se trouve ensemencée pour un nouveau comme-ensemencement de la Vie, par l’Energie Amour ! Le début d’un nouveau cycle dont ce mythe est fondateur…
Anansé est la plus ancienne Fidèle d’Amour. Oh ! combien est-il admirable de voir qu’à l’origine de la Création, il y a l’énergie de l’Amour Fou ! Au contraire des théories scientifiques mentales ternes et desséchées, qui ne plongent pas au-delà du physique, dans ce méta-physique, l’essence des choses sans laquelle rien n’est véritablement compréhensible. S’entend de la compréhension véritable qui est celle du cœur... Seuls les Fidèles d’Amour ensemencent la terre de la seule vie possible, cosmique, universelle ! Ces Voyants perçoivent l’Unité du Tout par-delà l’illusion des formes séparatives.
 
Comment ce conte est-il venu jusqu’à moi ?
L’une de mes amies m’avait donné un texte traditionnel qui la touchait beaucoup en me disant qu’il était véritablement fait pour moi. Elle l’avait trouvé sur la toile !
Quelle intuition !
Je n’en crus rien ! Je le lus assez distraitement, sans y attacher d’importance. Il était dans une forme difficile à lire, mais il ne prit pas possession de moi et il fit bien ! Lors d’une fête chez cette amie, elle me demanda à brûle-pourpoint de le conter. Je voulus lui faire plaisir et me jetai à l’eau avec beaucoup de présomption ; je fis quantité d’erreurs et de maladresses ! Tant et si bien qu’elle me dit : 
- Mais non, ce n’est pas la lune, c’est le soleil…
- Eh bien conte-le nous ! lui dis-je.
Ce qu’elle fit à la perfection, avec beaucoup de verve, étant, elle, habitée par l’histoire. Ainsi mes maladresses lui permirent d’oser. J’avais été divinement inspiré en ne l’étant pas ! C’est ainsi qu’elle devint conteuse ! Il n’est pas toujours utile de réussir, loin de là ! Cela peut même inhiber celui ou celle qui voudrait conter et qui n’ose pas. Il en est de même dans quantités de domaines…
De fait, la Vie véritable se vit et transforme l’existence en un Conte de Fées ! En un conte de « faits » pour qui sait décrypter comme nous l’avons déjà suggéré !
Quelques temps après, ce conte prit possession de moi dans une forme qui s’imposa et que je livre à vos méditations…
La vie est une telle magie que je peux affirmer, pour l’avoir maintes fois vérifié, qu’il n’y a rien de plus vrai que le conte initiatique.
 

[1] - Voir L’Instruction du Verseur d’Eau - Karuna Platon - Les Editions de la Promesse, 2000.
[2] - René Guénon - Symboles de la Science sacrée - La science des lettres, Gallimard, 1962, p. 51.
 
 

La petite araignée Anansé

 
Mandala
construit sur le neuf, le dix-huit et le trente-six.


 



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