Contes, mythes et légendes,
"Manifestation vivante de la Vie Unique",
dits par Régor au gré de la Vouivre

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Puisque nous sommes dans le merveilleux... Celui qui m’a conté ce qui suit a su faire un mythe de son autobiographie. A vous de voir. Je souhaite que ce soit la vôtre…
 
 

LE LOUP

QUI PRIT

APPARENCE DE BICHE

 
 
Il était une fois un être étrange, né très vieux, très vieux et très envieux, avec un cœur lourd comme le plomb. Une sorte de soldat de plomb en quelque sorte… bien qu’il fût d’apparence comme vous et moi, de chair et d’os !
A sa naissance, il paraissait un parfait bébé bien potelé, joufflu et rose, mais ses yeux voyaient tout en gris, ce qui l’aigrit ! Ses oreilles n’entendaient que du bruit autour de lui. Les fées à sa naissance n’avaient guère été généreuses apparemment. Pourtant l’une d’elle l’avait discrètement touché de sa baguette magique au creux de la poitrine… Allez savoir si ce n’est pas cela qui fit naître en lui comme une nostalgie, un goût pour l’aventure, ou qui lui tourna tout simplement la tête…
Point fils de roi ne semblait être, mais manant ou serf de naissance. Sa mère était sorcière, mais il n’est pas de sorcière qui ne soit un peu sourcière, même si son lait est amer. Son père était un brave homme. Que Dieu le garde !
Il grandit sans trop de peine, et même de façon fort banale. Mais voilà que la fantaisie lui prit de croire tout ce qu’on lui disait, à la maison, à l’école, à l’église, et puis à la radiophonie, et de croire tout ce qui était écrit dans les journaux, dans les livres, et ainsi de suite ! Quelle étrange maladie ! Aussi bien en lui ce fut folie, puisqu’il voulut être comme père et mère et frères et sœurs et voisins et amis ! A ressembler à eux s’appliquait de son mieux…
Mais un mal étrange couvait en lui, comme une sorte d’ennui… dans cet environnement de béton, de bitume et de… bêtise. Il trouvait le soleil des villes bien pâle. La grande forêt où se perdait ce Petit Poucet était une jungle inextricable. Le fil d’Ariane était cassé… Les oiseaux derrière lui avaient mangé toute la mie… Que faire ? Alors, quand il eut l’âge, il partit dans le vaste monde pour voir si ce qu’on lui avait appris s’avérait… Il ne savait ce qu’il cherchait et se mit à écouter et à suivre tous les bonimenteurs qui lui paraissaient, au bout de quelque temps, aussi menteurs que bons d’apparence…
Il y avait comme cela dans la sombre forêt des hommes, des loups qui vous dévoraient inévitablement si… Mais lui, lorsqu’il rencontrait un loup d’une sorte ou d’une autre, il lui riait au nez, et celui-ci était fort étonné. Le loup ne peut dévorer que celui qui, devant lui, fait triste figure, grise mine ou mine de rien… Contre ceux qui rient, que peut-il faire ? Bref, chaque fois que, dans quelque forêt nouvelle, il rencontrait le loup, il riait et disait :
- Ah ! Toi, je te connais, je t’ai déjà vu quelque part !
Son bâton de pérégrinant reprenant, il allait voir si quelqu’autre forêt serait plus hospitalière…
 
Un soir où fatigué, il dormait dans le fossé sur un lit de feuilles mortes, une biche craintive s’approcha.

 

Il la vit comme en rêve et par jeu l’apprivoisa, si bien qu’elle le pria de la garder du loup dont elle avait, disait-elle, grande crainte. Or donc, elle ne le quitta plus. Ah ! Vous qui m’écoutez, vous croyez que cette fois, le loup a gagné ! Cela n’est possible dans aucun conte, et celui-ci ne fait pas exception.
Ils traversèrent maintes et maintes forêts, et plus de loup ne rencontrèrent, mais leurs jambes devenaient chaque jour plus lourdes et grandes fatigues les prenaient… Ils avaient moins d’entrain. Sur les chemins, notre homme avait ramassé quelques grains de sable qui alourdissaient ses poches et sa besace, ou bien crissaient dans ses chaussures et le faisaient boiter. La biche aussi, derrière lui, traînait la patte. Le monde était si vaste… C’était partout le même soleil. Y avait-il un autre soleil ?
Une nuit qu’il était très fatigué et qu’il dormait sur ses deux oreilles, le loup qui avait pris apparence de biche hésita à le dévorer.


 

Ils s’étaient tant l’un à l’autre accoutumés que le loup ne put s’y décider, et sa véritable forme reprit. Au réveil, notre homme fort surpris se vit suivi d’un loup apprivoisé. De paraître ainsi était beaucoup trop dangereux pour un loup. Aussi, après en avoir convenu, il reprit apparence de biche, mais cette fois, vraie biche devint, non plus d’apparence seulement, mais de cœur… Ah ! Croyez-moi, même saint François n’avait en son temps fait miracle pareil !
Ce conte n’a pas de fin. Peut-être cela viendra dans les temps à venir, mais pour l’instant point n’a besoin.
Il se trouva néanmoins que les grains de sable amassés se mirent une nuit à briller comme paillettes d’or. Dans une très ancienne forêt, que l’on disait sacrée, l’homme et le loup trouvèrent une très vieille fontaine. Après avoir bu, ils reprirent leur chemin, n’ayant point conscience d’avoir changé. Mais ceux qui savaient voir regardaient passer dans les chemins creux un couple étrange duquel émanaient beauté, jeunesse et sérénité…

 

L’errance est la vocation de tout humain. Encore pour la vivre, ne faut-il pas se laisser embobiner par tout ce qui conditionne en stérilisant le terreau fertile qu’est l’enfant. Lorsque la prise de conscience se fait, il faut alors partir, à la recherche de soi-même. Que de pièges à éviter en effet, qu’il faut savoir déjouer pour ne pas tomber de Charybde en Scylla, chaque fois dans un enfermement.
Le loup prend apparence de biche, et vice-versa. Là, comme jadis, mais seulement en imagination, les formes ne sont pas fixées. Mais il s’agit plutôt du monde dévié dans lequel sans cesse le bien se transforme en mal et le mal en bien ; ainsi vont les choses. Chacun porte en soi et la biche et le loup qui ne cessent de changer de forme. Apprivoiser ce dernier est la seule manière juste de ne plus dépendre ni de la biche ni du loup, deux facettes de soi-même à réconcilier. Ils tiennent rôle ici d’ange et de démon ! Trop dangereux cependant dans les villages des gens ordinaires de montrer sa facette de loup ! A ce jeu, on risque sa peau. Et dangereux aussi d’être biche…
Les grains de sable de la vie se transforment au fil du temps en paillettes d’or. La Fontaine de Jeunesse et d’Immortalité n’existe pas seulement dans les contes. Ecoutez votre cœur d’enfant qui connaît la Vérité…

 



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