Contes, mythes et légendes,
"Manifestation vivante de la Vie Unique",
dits par Régor au gré de la Vouivre

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Contes qui coulent de Source.
La quintessence du conte.


Edition EDIRU épuisée.

Introduction :

AU GRÉ DE LA VOUIVRE,
 
L’INSPIRATION DU CONTEUR
 
 
 
          
          Chez tous les peuples de la Terre, les Conteurs, les Griots, les Aèdes, les Bardes content, depuis l’aube des temps, les mythes et les légendes qui tissent le devenir des humains. Cette fonction ne peut être interrompue. C’est de l’essence des choses dont il s’agit…
 
         D’où vient l’Inspiration qui fit dire si belles paroles à Abu el-Atahiyya, Jalal-ad-Din Rûmi, Farid-od din’ Attâr, Hadj Bektash, Hamadin, Sheikh Qalandar Shah, Sohravardî et tant d’autres Maîtres Soufis dont les contes reprennent la plupart des textes ? L’Inspiration, l’authentique, la véritable, elle vient de l’Innommé et nul ne voit comment elle se produit… Chacun sait, par l’intime de lui, qu’elle est véridique ! Cependant, ces Maîtres appartenaient tous à des lignées initiatiques, ils avaient été enseignés.
Parfois, l’Inspiration visite le conteur et quelque chose s’écrit qui n’a de nouveau que la forme. Le plus souvent, c’est le conte qui le choisit. Il s’immisce en lui, le taraude, se love dans sa mémoire. Lorsqu’il le lit, de la page écrite où il sommeille, il se réveille en se révélant ; une alchimie intérieure lui donne une nouvelle vie. D’abord il l’oblige à le mettre en œuvre, à assimiler sa substance essentielle, à l’intégrer dans la mémoire cellulaire qu’il nettoie pour y faire son temple.
Certains contes ne veulent pas de lui ! Quelque peine qu’il se donne pour eux, ils ne pénètrent point sa mémoire alors que d’autres, à peine les a-t-il entendus une fois qu’ils sont comme chez eux depuis la nuit des temps ! Allez savoir pourquoi ! C’est ainsi.
Lors donc qu’un conte l’a choisi, toute occasion lui est bonne : à chacune d’entre elles, il jaillit avec son énergie de création toujours neuve. Un simple mot entendu dans une conversation, une conférence, un exposé et, fort à propos, ce qui monte naturellement à ses lèvres, c’est un conte, au lieu d’arguments polémiques. Parle-t-on d’hérésie, d’inquisition, c’est alors « La huppe qui entre par hasard dans la demeure des hiboux » ou « Le caméléon et les chauves-souris » qui remontent de sa mémoire : il les doit à Sohravardî[1].

 

 
 
Parle-t-on de la folie de l’amour ? Innombrables sont les légendes de Leïla et Majnun ! S’agit-il de Licorne, quelques passages magnifiques de la pièce La Dame à la Licorne et au Lion[2] dans laquelle il a joué jadis le rôle du vieillard, de Merlin, l’habitent encore.

 

 
Là, c’est le conte qui se rappelle à lui : après l’avoir inspiré, il veut être expiré, être manifesté. Sur maints sujets, les contes zen, soufis, indiens ne manquent pas. Ils demandent d’eux-mêmes à « sortir ». C’est un appel d’air qui vient de l’extérieur, des âmes qui en font la demande, dont il perçoit, oserai-t-on dire, la soif. Il laisse simplement l’eau jaillir. Demandez à une source pourquoi elle coule ? Mais tout le monde n’a pas soif ! Sa source est permanente intérieurement, même si elle peut paraître intermittente apparemment dans l’extérieur, au gré des rencontres, comme celle qu’il fit un soir lors d’un concert de musique soufi du Soudan, et qui l’amena à conter lors d’un colloque international sur Les Fous d’Amour à la Sorbonne.
 
Qu’est-ce qui touche profondément ses auditeurs et fait revivre leurs cœurs d’enfant ? D’abord le personnage qu’il est alors, comme investi d’une force, d’une énergie qui le dépasse. Un amphithéâtre de la Sorbonne n’est pas le lieu idéal pour conter ! A l’écoute des exposés, il choisit un ou deux contes possibles mais, au dernier moment, il est totalement vide ; très souvent, c’est un autre conte qui sort et il en est le premier surpris ! L’harmonisation se fait par la subtile connivence qui se produit immédiatement avec les auditeurs.
 
Le costume joue son rôle, afghan, tibétain, soufi ou gitan, celte, c’est selon. Il évoque Samarkand, les Mille et une Nuits, Bagdad, l’Orient… et plonge les auditeurs dans un univers merveilleux qui les habite. Déjà il les emporte dans un ailleurs de beauté, de joie, d’amour et de simplicité. Lorsqu’il conte à domicile pour une fête, les auditeurs sont invités à se costumer en Shéhérazade, en bédouin, en prince arabe, en danseuse orientale, en fou ou en mendiant, et cela crée encore une autre atmosphère. Parfois aussi, des musiciens accompagnent ses contes d’une musique orientale ou médiévale.
 
Enfin, il a son bâton. Ah ! Ce bâton ! Torsadé, sculpté par la nature. Il a été trouvé tel quel dans la forêt par l’un de ses amis sculpteur qui le lui a offert une nuit de Noël. « Et cette nuit-là, devant la crèche de l’Enfant Jésus, à minuit, je me suis aperçu qu’il contait des histoires ! » ose-t-il prétendre ! Il a un effet extraordinaire. Pourquoi ? Chacun de nous a, au fond de lui, une vocation de nomade. C’est le bâton du pèlerin torsadé par l’énergie de la vouivre, c’est celui de Nasrudhin venant de Samarkand et dont il conte les histoires, c’est celui du paysan, du berger qui nous habite, c’est la Corne de la Licorne torsadée par trois, c’est… Il enflamme l’imaginaire ! Il prend toute la place, c’est lui qui conte et le conteur s’efface à son service.
 
 
Plus encore que tout cela, les contes, porteurs de mystère et de merveilleux, sont de grands inspirés ! Ils véhiculent depuis des siècles des réflexions de bon sens, de sagesse, d’humour qui ouvrent l’imagination sur cette vie dont on rêve au-delà des grisailles d’une existence qui ne nous grise plus, mais nous aigrit ! Ils vont à l’encontre des dogmes, des idées reçues, des préjugés, des simplismes. Tous les Soufis ont préféré cette forme d’expression privilégiée aux discours, aux sermons, aux exposés, aux conférences dont nous sommes repus et qui nourrissent surtout le mental, laissant dans l’indigence et dans la faim l’âme, le corps et l’esprit. Il est possible de dire aussi que l’Inspiration naît du Silence[3] … Le petit enfant intérieur, celui que nous sommes en vérité, retrouve alors ses grands yeux émerveillés.
Le conte traditionnel est terre-à-terre ; ramène l’homme dans ses racines, le fait rêver et le propulse à un niveau qui donne un sens à ses interrogations, ou plutôt une multitude de sens entre lesquels il nous est loisible de choisir en toute liberté. Il suggère seulement. Il y a les mots qui se découvrent une vie neuve lorsqu’on les emploie dans la Langue des Oiseaux ; ils chantent et enchantent alors que tant de vains discours nous déchantent… Ah ! La Langue des Oiseaux, il en a reçu la compréhension comme un don, une nuit, à trois heures du matin, dans une sorte de rêve éveillé…, après avoir lu et relu, il est vrai, Hiéroglyphes français et Langue des Oiseaux[4] !
Attention : « Méfiez-vous des conteurs ! Certes, ce sont gens de paroles ! Mais la vérité et le mensonge habitent le même palais ! Méfiez-vous des conteurs ! Le sabre a un tranchant, la parole en a cent ! Une blessure faite par le sabre guérit parfois, une blessure faite par la parole guérit rarement ! Cependant, allons ensemble à la recherche de la sagesse et de la vérité… » commence-t-il souvent par dire !
 
Beaucoup de personnes sont habitées par le désir de conter. L’important est d’oser. Ses premiers balbutiements ont été difficiles tant les peurs étaient nombreuses en lui. La Providence l’a encouragé : elle a mis sur sa route un musicien qui, l’ayant entendu lors d’une animation « Moyen Âge », lui a dit :
- J’aimerais mettre de la musique sur tes contes, et je connais une amie à qui il plairait de se joindre à nous ! 
Il lui a fait parvenir un enregistrement d’une sélection de contes. A sa grande surprise, quelques semaines après, ce musicien avait travaillé avec son amie de manière remarquable. Ainsi naquit un spectacle intitulé Contes de l’Or-Riant et le trio a proposé des « Soirées Contes » à domicile, au coin du feu. Jamais deux fois le même lieu, jamais deux fois le même public, ni la même ambiance, mais toujours la même réceptivité, la même joie, la même complicité… Cette aventure a duré quelques années puis leurs chemins se sont séparés.
 
 
Grâces soient rendues à tous les Maîtres Soufis qui lui prêtent si justes et si vivantes paroles qu’il répète après eux ! Les contes le montrent, repris par les plus véridiques, « nul ne peut s’accoucher tout seul », aujourd’hui comme hier ! Chacun le sait : « Lorsque l’élève est prêt, le Maître vient » ; la suite est moins connue : « et le Maître, depuis longtemps, connaissait le disciple». Nul pourtant ne peut faire le chemin à notre place, franchir les obstacles, triompher des épreuves ! C’est une autre histoire…
 
La passion de conter lui est venue en même temps que celle d’écrire. Elles sont indissociables. C’est une inspiration différente ; les idées vous traversent. On est alors comme guidé vers les lieux qui sont en affinité avec la recherche du moment. Dans une bibliothèque, un livre l’attire, il l’ouvre au hasard et le matériau dont il a besoin lui est donné.
Cependant, cela n’est pas arrivé sans une longue gestation. Il faut y être longuement préparé, y être conduit « de main de Maître » par qui est capable de vous donner confiance dans les possibilités qui vous habitent… Emmené dans l’une des multiples églises où se trouve la statue de saint Roch, un saint de la fin du Moyen Âge, guérisseur de la peste et des maladies de peau, il a été comme « saisi » par son énergie et, depuis, il a souvent conté sa légende.  
 

 
Saint Roch avec l’ange et le chien.
 
Avant, il ignorait tout de lui…, apparemment, alors qu’il l’habitait depuis longtemps, à son insu, depuis sa plus tendre enfance ! Son cheminement est retracé dans le livre de saint Roch, réflexion sur la santé, la maladie, et la guérison véritable qui n’est pas celle du corps, mais de l’âme[5]. Le plus souvent, c’est dans une église, dans un lieu de pèlerinage, près d’une source guérisseuse, que l’occasion lui est donnée de conter, et les auditeurs sont toujours touchés par l’image de ce saint qui, après avoir guéri les autres, est chassé par eux lorsque, à son tour, il est atteint par la peste. Et touchés par l’image du chien qui tient une miche de pain dans sa gueule.

 
  

Saint Ferjeux, l’un des évangélisateur de la Franche-Comté.
 
Il a conté des histoires de Dragon, de Vouivre, de Mélusine, de Morgane, de Gargantua, de saints céphalophores, pour illustrer des conférences sur l’un de ses livres[6], écrit en collaboration avec une amie. L’inspiration les guidait sur les lieux dont ils parlent dans ce livre et, le plus souvent, elle leur était donnée à travers la statuaire des églises et cathédrales romanes : monstres, dragons, vouivres des chapiteaux, saints et saintes domptant le dragon des portails et des vitraux. Là aussi, ce déploiement avait été longuement préparé et guidé durant des années. Comme dans les contes, nous pouvons dire qu’avant que l’inspiration ne « coule », il lui a fallu se faire « déboucher », et celui qui fit si bel ouvrage dut faire preuve d’une longue patience, et plus encore ! Il faut un profond travail sur soi-même pour se désengluer des croyances de toutes sortes. L’inspiration vient ensuite au gré de la Vouivre du lieu, selon les nécessités du moment, et quelque chose s’émet, sans qu’il y ait rien à faire et même, sans qu’on en ait « rien à faire ! »

 

 
Saint Romain, domptant la gargouille de Metz.
Cabasson, huile sur toile, 1885.
 
Il a conté des histoires de miroirs lors de quelques conférences sur le sujet de cet autre livre qu’une sorte de nécessité intérieure l’a poussé à écrire[7]. Ah ! Le miroir ! Les mystiques et les Soufis ont fait tant de réflexions à son sujet ! Tant de réflexions sur la réflexion…
Quant à son dernier livre paru, La Métaphysique des Chiffres, tous les chiffres ne disent qu’unité[8], c’est une nécessité de mise en ordre intérieure qui l’y a poussé. Il a, durant de longues années, enseigné mathématiques et sciences physiques en Collège ; il lui fallait voir comment réconcilier mathématiques et métaphysique pour être au clair avec lui-même. Au demeurant les nombres tissent la trame de tant de contes !
Livres et contes ont une même inspiration, une même « Source », métaphysique. Ils sont les fruits d’une quête et le moyen d’un partage. On écrit, on ne conte véritablement que pour soi, par soi ! « Le Soi, c’est le Cœur, qui brille de sa propre lumière », enseigne Ramana Maharshi[9].
 
Son répertoire s’est enrichi au fil des années ; il éprouve une grande joie à jongler avec les contes, à pouvoir faire « le conte dans le conte dans le conte », à l’image des poupées gigognes russes, en s’émerveillant des surprises qu’il ménage à ses auditeurs. Le conteur est porté par la qualité de l’écoute et, sans qu’ils le sachent, ce sont les spectateurs qui inspirent le choix des contes. Il cite souvent les conteurs kabyles qui sont plus qu’habiles dans cet art de conter et qui terminent toujours en disant : « Mon Conte a coulé comme un ruisseau, car j’ai conté à des Seigneurs. » Mais il n’est pas interdit de dire, lorsque l’auditoire a été quelque peu instable : « Mon conte coule comme un ruisseau lorsque je conte à des seigneurs » !
Ceux qui l’ont le plus aidé sur ce chemin sont ceux qui lui firent parfois de rudes critiques ! Justes et méritées ! « C’est en forgeant qu’on devient forgeron », dit le proverbe.
Il n’a pas appris à conter au sens convenu du mot, il n’a pratiquement pas fait de stage de conteurs. Ce n’est pas un « professionnel » ! De même pour l’écriture. Simplement, il a été pris par une Tradition qui a été réanimée en lui ; cela est au-delà de toute technique, même si les techniques sont importantes au départ : il faut travailler sa voix, apprendre la portée du silence, du sous-entendu, du rythme des phrases, de la mélodie des mots, des gestes…, mais ce n’est pas là l’essentiel ! Chaque fois, dans le conte, il faut ménager la fin qui doit surprendre, prévoir une chute drôle, inattendue, enrichissante, un rebondissement qui n’a pu être prévu. Sans se prendre pour un conteur ! Tel est le grand paradoxe : fait-on preuve de trop de volonté pour se mettre dans une technique, et … l’inspiration puisée à la Source se tarit. Le moi individuel vient obstruer le canal plus ou moins partiellement. Il faut de nouveau déboucher la cheminée, pour cheminer en conscience, « sans attachement aux fruits de l’action » comme l’enseigne Krishna à Arjuna dans la Bhagavad Gîta. Le rappel se fait toujours des Vérités Eternelles.
De fait, la Vie véritable se vit et transforme l’existence en un Conte de Fées, et même comme il va être montré, en contes de « faits » !
 
Dans ce recueil, les contes sont regroupés par thèmes et entrelacés pour couvrir le plus large éventail possible de la condition humaine et de son dépassement. Afin de mieux mettre en valeur l’essence de chaque conte, voire sa quintessence, des réflexions sont suggérées qui ne sont pas limitatives loin de là…
 
 
Aymé Hardant
 
Introduction au livre
"Contes qui coulent de Source, la quintessence du Conte"
Editions EDIRU, 6 rue du Ru, 91540 Mennecy
2006
Paru sous le titre de L'inspiration du Conteur,
contribution au Colloque de a Sorbonne sur l'Inspiration :
Claire Kappler, Roger grozelier,
L'Inspiration. Le Souffle créateur dans les arts, littératures et mystiques du Moyen Âge européen et proche occidental. L'Harmattan, 2006.
 

[1]- D’après la traduction de L’Archange Empourpré de Henry Corbin.
[2] - Texte d’Emmanuel-Yves Monin.
[3] - Dans le Silence tu es Toi : t’es-toi, tais-toi, enseigne l’euphonie, le chant de la Langue.
[4] - Emmanuel-Yves Monin, Ed. Le Point d’Eau, 1982.
[5] - Régor - Du Cheminement Initiatique imagé par saint Roch et sa Vie Exemplaire d’après les Enseignements d’Emmanuel - Ed. Les Amis du Désert, 1988.
[6] - La Vouivre, un Symbole Universel, en collaboration avec Kinthia Appavou - Editions EDIRU, 2005.
[7] - Régor R. Mougeot - Le Miroir, Symbole des Symboles - Ed. Dervy, 1995.
[8] - Auto-Edition, 1998, diffusé par l’auteur.
 



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