Contes, mythes et légendes,
"Manifestation vivante de la Vie Unique",
dits par Régor au gré de la Vouivre

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Il ne suffit pas d’écouter un conte d’une oreille distraite, encore faut-il s’en imprégner, le laisser imbiber son être et, pour cela, faire le vide, ô non pas un instant en passant, par-ci par-là, mais d’instant en instant ! Au demeurant, cela se fait… Alors se révèlent quantités de niveaux de compréhension qui n’étaient pas soupçonnable de prime abord.
Beaucoup de contes, vous le verrez dans la suite, nous parlent d’une Chine mythique. Ah ! la Chine, quelle belle inconnue encore, à qui l’on peut faire appel pour maintes métaphores ! Pays mystérieux jusqu’à son entrée dans le modernisme. Marco Polo de son vivant ne fut guère cru par ses compatriotes lorsqu’il rapporta les récits de son célèbre voyage !
De la lointaine Asie nous est venu le thé. Vous en buvez ? Mais connaissez-vous sa véritable histoire, venue de Samarkand ?


 
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Mausolée Goumbazi Seyidan - Samarcande (Ouzbékistan).
© Photo Régor
 
 
 
LA VÉRITABLE HISTOIRE

DU THÉ 


 
 
En des temps fort anciens, le thé n'était connu qu'en Chine. Dans le reste du monde, on en avait entendu parler par les caravaniers, les marchands, les voyageurs, mais personne n'en avait jamais goûté !
On disait sur les places et les marchés que c'était un breuvage extraordinaire, une boisson divine aux vertus célestes. Mais nul n'y avait jamais goûté !
 
Intrigué par tous ces récits, le Khan de Samarkand envoya ses ambassadeurs en Chine pour s'enquérir de la vérité. L'Empereur les reçut fort honorablement et leur offrit, comme il est de coutume dans son pays, une tasse de thé. Mais les ambassadeurs s'aperçurent que les paysans de Chine buvaient le même breuvage.
De retour à Samarkand, ils dirent au Khan :
- L'Empereur s'est moqué de nous ! Ce ne peut être là la boisson des dieux dont nous avons tant entendu parler puisque les paysans la boivent tout comme l'Empereur !
D'avoir goûté le thé dans cet état d'esprit ne leur servit de rien !
 
En dehors de Chine, on continuait partout à parler du thé sans le connaître.
Dans le Turkménistan, les habitants qui avaient vaguement entendu parler de la façon de préparer le thé se mirent à cueillir toutes sortes de racines, de feuilles, d'herbes... Ils firent des décoctions, des infusions... Beaucoup moururent empoisonnés, mais personne ne réussit à préparer le thé. Et pour cause ! Le thé ne pousse pas dans ce pays !
 
Abdul Rahman Assif, mystique et savant réputé, écrivit un Traité sur le Thé. Il n'avait jamais bu une tasse de thé, n'avait jamais vu une feuille de thé et n'avait pas la moindre idée sur la façon véritable de préparer cette boisson. Mais il écrivit son Traité qui fit longtemps autorité, en collectant tout ce que l'on pouvait bien raconter dans les souks et les marchés, en compilant les récits des voyageurs, des commerçants, des caravaniers...
Tout cela était fort contradictoire !
Il en conclut cependant que le thé devait être d'une essence supérieure, divine, inconnue en ce monde, puisque cette substance pouvait prendre toutes sortes d'apparences. Celle d'une feuille, ou bien d'une poussière brunâtre ou noirâtre, qu'elle pouvait être tantôt solide, tantôt liquide. Que ce liquide pouvait être brun, jaune ou doré, que sa saveur pouvait être douce, amère ou sucrée... Bref, il n'en avait jamais goûté, mais son Traité sur le Thé confirma que ce ne pouvait être qu'une boisson divine, le breuvage des dieux !
 
Dans la lointaine Turquie, un voyageur venant de Chine offrit un jour à un paysan quelques feuilles de thé. Celui-ci les ramena au village, mais personne ne sut qu'en faire. Le prêtre du pays, ayant étudié le Traité sur le Thé, fit porter les feuilles en procession dans les rues du village. Elles furent placées sur un autel. On construisit un temple, puis on rendit un culte au Dieu Thé !
Un jour, de passage dans ce village, un autre voyageur venu de Chine et qui connaissait la manière de préparer le thé, dit aux habitants :
- Mais insensés, ce culte n'a pas de signification ! Versez tout simplement de l'eau bouillante sur ces feuilles et buvez !
Il fut immédiatement condamné à être pendu et empalé sur la place publique pour avoir voulu détruire la substance du Dieu !
Quelques personnes qui avaient entendu sa remarque firent venir en contrebande des feuilles de thé de Chine. Elles préparèrent et goûtèrent ce breuvage en cachette. Lorsqu'on leur demandait ce que c'était, elles répondaient, rendues prudentes par les événements :
- C'est là un breuvage pour nos maladies !
 
Les années passèrent...
En dehors de Chine, bien peu de personnes savaient ce qu'était le thé véritable, et encore le buvaient-elles en grand secret. Par contre, on continuait d'en parler partout, et même, c'était un des sujets de conversation favoris. Moins on le connaissait, plus on en parlait, avec toutes sortes d'extravagances ! Chacun avait un désir fou de pouvoir goûter à cette boisson divine, ce breuvage céleste...
 
Puis un jour vint un Connaissant qui dit simplement :
- Celui qui a goûté connaît.
Celui qui n'a pas goûté ne connaît pas.
Fermez la boutique aux palabres, aux racontars et aux mythes.
Ouvrez la Maison de Thé de l'expérience.
Cessez de parler ainsi du thé, n'en dites rien.
Que celui qui connaît et sait en prépare, en offre à ses amis, à ses voisins... Celui qui aimera en redemandera et apprendra à le préparer. Celui qui n'aimera pas prouvera par là qu'il n'est pas un buveur de thé !
[1]
 
Et si cette histoire vous a plu, remplacez le mot « thé » par « Dieu » ou encore « Amour », ou par tout autre mot à votre convenance et redites-vous à vous-même cette histoire... 


 
 
Tous les ouï-dire, tous les savoirs, toutes les connaissances ne sont pas « La Connaissance » ! A répéter ce qui se dit et se colporte depuis des siècles, nous ne sommes que des perroquets, que cela soit sur le thé, sur l’amour, sur la résurrection du Christ ou sur la fin de la souffrance selon Bouddha !
Que connaissons-nous de source sûre ? Ce que nous avons expérimenté, c’est-à-dire bien peu de choses !
Alors, nous essayons de nous enquérir de la vérité… Mais comment croire ce qui est simple, déconcertant, ce qui est en dehors de nos croyances ? L’empereur ne peut pas boire la même chose que le paysan ! Un pays ne peut se gouverner sur la seule Loi de l’Amour ! Sinon, où irait-on ?
 
Là où il n’y a pas de thé, là où il n’y a pas d’amour, nous avons beau essayer, cela n’est jamais « Cela » ! Toutes les utopies dégénèrent…
Les plus célèbres Traités, sur le thé ou sur l’Amour, s’ils ne sont que compilations de racontars, quelle valeur peuvent-ils avoir ? Fussent-ils les plus considérés par les ignorants qui se prennent pour des savants !
Alors, on adore des feuilles de thé, ou bien ce qu’on croit être l’Amour, selon les coutumes dites ancestrales !
Qui peut croire la simplicité même ? Est hérétique, et mis à mort comme tel, celui qui en appelle au bon sens devant la folie commune.
Ceux qui ont entendu, se taisent alors et s’occupent à guérir leurs maladies.
« Celui qui a goûté connaît » ! Un auditeur a été touché par cette phrase qui est, m’a-t-il dit, dans le Coran. Je la savais soufie.
 
Ah ! Cette véritable histoire du thé, elle a été contée dans maints salons de thé pour des gens dont, visiblement, ce n’était pas… la tasse de thé ! Un conte digne de ce nom n’est jamais une simple histoire, il est toujours anagogique
[2], c’est-à-dire s’élevant au-delà du métaphysique même.
Celui-ci faisait partie d’un répertoire intitulé Contes de l’Or-Riant, constitué d’histoires de Nasrhudin, de contes Soufis, Zen, Indiens, de contes des Mille et Une Nuits. Il fut conté lors de nombreuses « Veillées au coin du feu », faites à domicile alors que la providence avait mis sur le chemin du Conteur deux musiciens de talents qui accompagnaient ses dires de musiques orientales, l’un avec vièle et cordes, l’autre avec percussions et flûtes. Ah ! Ces soirées où la Fête était ressuscitée… Feu êtes ! Faites la Fête… Cela vaut mieux que de faire la tête !
 

[1] - D’après les enseignements de Hamadin, mort en 1140.
[2] - Anagogique : Qui conduit à la Transcendance. Cf le quatrième niveau de lecture, d'après Dante : « fait connaître, par les choses publiées, celles de la gloire éternelle d'en haut » (et d'autres ) : littéral, allégorique, moral et anagogique (Convivio II, 1).

 



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