Contes, mythes et légendes,
"Manifestation vivante de la Vie Unique",
dits par Régor au gré de la Vouivre

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Dans son entraînement, le guerrier se doit de lutter contre lui-même, contre ses peurs, ses obsessions, ses habitudes et ses conditionnements, autant de formes-pensées symbolisées par le rat de ce conte :
 
 
LES CHATS

EN LUTTE CONTRE LE RAT


 
 

Il était une fois, en Chine, un Maître d'escrime extraordinaire qui n'avait plus aucun rival dans son art. Sa réputation était sans égale. Il jouait de l'épée avec la rapidité de l'éclair et surprenait toujours son adversaire par son habileté autant que par sa force et sa finesse.
Or, dans la maison de ce Maître d'armes, un rat vint établir sa demeure. Jusque-là, notre homme s'était toujours promptement débarrassé des rats qui avaient osé franchir son seuil. Mais celui-ci se révéla indestructible...
Le Maître eut beau lui tendre toutes sortes de pièges et d'embuscades, le rat les évitait avec une facilité déconcertante. Ses coups tombaient toujours dans le vide et notre homme, obsédé par ses multiples échecs, perdait l'appétit et le sommeil ; il devenait de ce fait de plus en plus maladroit.
Il voulut avoir recours à un chat. Mais tous ceux qu'il fit venir demeurèrent inefficaces, quand bien même la peur ne les faisait pas fuir promptement loin de cette maison. Ils étaient griffés et mordus férocement sans que jamais le rat n'eût véritablement à pâtir de leur présence.
 
Quelqu’un conseilla alors au Maître d'armes un chat tigré, excellent de force, de ruse et d'adresse...
Celui-ci s'établit dans la maison. Il y resta nuit et jour sur le qui-vive. A la moindre alerte, il détendait ses griffes avec la promptitude de l'éclair. Sa parfaite musculature lui permettait des bonds impressionnants. Sa patience était telle qu’elle lui permettait de rester des heures aux aguets sans la moindre distraction.
Pourtant, le rat se jouait de lui comme par enchantement, demeurant toujours imprévisible, parfaitement à l'aise, sans la moindre apparence de crainte.
La situation ne changea pas. La force, l'adresse, la patience et la ruse de ce chat tigré demeurèrent parfaitement inopérantes.
 
C'est alors que le Maître d'armes entendit parler des chats siamois vivant dans les monastères tibétains. On disait qu'à vivre dans les lamaseries auprès des moines, ils avaient acquis une sorte de sagesse, des pouvoirs particuliers qui se concentraient dans leur regard...
Le Maître en fit venir un à grand frais du Toit du Monde. A peine celui-ci fut-il dans la maison qu'il aperçut le rat, le fixa de ses yeux verts. A la grande stupéfaction du Maître, le rat demeura immobile, hypnotisé, et le chat vint vers lui, le saisit dans sa gueule par la peau du cou et l'emporta hors de la maison !
Le Maître sentit comme un poids énorme lâcher au creux de sa poitrine... Enfin il allait pouvoir vivre sans cette obsession permanente d'un rat inexpugnable ! Il se sentait de nouveau libre dans sa demeure, il allait pouvoir en toute tranquillité d'esprit reprendre ses anciennes occupations et surtout son entraînement. Il en avait fini avec son déshonneur permanent ! Ce rat ne serait plus comme un reproche vivant, comme le rappel continuel de ses limitations !
Il était là dans ces heureuses dispositions d'esprit lorsque, levant son regard, il aperçut le rat immobile qui le fixait des yeux, tapi au coin de la cheminée !
Il fit revenir le chat siamois aux yeux verts et or. Celui-ci de nouveau regarda simplement le rat qui se figea dans la même immobilité surprenante pour un animal qui avait fait preuve jusque-là de réflexes extraordinaires dans l'esquive des coups d'épée et de griffes. Le chat le prit de nouveau dans sa gueule et l'emmena dehors, de son pas lent et tranquille, sans la moindre apparence d'effort, avec la même indifférence polie !
Mais quelques instants après, le rat de nouveau était installé dans quelque recoin de la maison d'où il semblait  narguer le maître des lieux.
Chaque fois qu'il était expulsé par le chat siamois aux yeux verts et à la prestance de sphinx, il réapparaissait presque à l'instant de façon toujours aussi mystérieuse...
 

 

C'est alors que le Maître d'escrime entendit parler d'un Maître Chat auquel jamais aucun rat n'osait se mesurer... Il n'avait qu'à paraître et les rats aussitôt abandonnaient les lieux !
Ce chat vivait dans un pays fort éloigné et il fallut qu'il se rende dans une contrée lointaine où on lui présenta une sorte de vieux matou aux poils ternes, sans aucune prestance, qui paraissait mal entraîné à une aussi rude tâche que celle qui consistait à lutter contre un tel rat...
Le Maître d'armes hésitait, surpris, mais on lui assura que là était la fin de son problème. Au vrai, il n'en crut rien tant les apparences semblaient prouver le contraire. Cependant, il ne voulut pas avoir fait tout ce voyage pour rien et se dit que, de toute façon, il n'avait plus rien à perdre ou à espérer...
Entré dans la demeure de son nouveau maître, le vieux matou s'étira paresseusement puis s'allongea sur le plancher à l'endroit où le soleil faisait tache. Il ferma les yeux et sembla dormir...
Le rat ne parut pas. On ne le revit plus dans la maison qu'il déserta à l'instant !
 
Le Maître d'armes pouvait maintenant enfin reprendre son entraînement en toute quiétude...
Pourtant, il ne le fit pas. Une question se posait à lui avec force. Là où tous les autres chats avaient dû fuir, abandonner le combat après avoir subi d'atroces morsures et d'affreux coups de griffes, là où le puissant chat tigré, le prince des chats par la force et la ruse, avait échoué, là où le chat siamois au regard envoûtant avait finalement subi un échec, comment se pouvait-il que ce vieux matou paresseux ait pu réussir ?
Puisqu’il n'y avait plus de rat, il était inutile, pensa-t-il, de garder plus longtemps cet animal antipathique chez lui. Il le fit donc partir.
Mais aussitôt le rat reparut aussi mystérieusement ! C'était bien sa seule présence qui était dissuasive. Le Maître le garda donc à demeure à son service.

 

 
 
Ce rat qui fit sa demeure chez ce Maître d'escrime est semblable aux pensées obsédantes ou à l’ego inférieur que ni les efforts physiques du chat tigré, ni les pouvoirs psychiques du chat siamois ne peuvent endiguer. Quant au gros matou, il cesse tout simplement d'entretenir une guerre vaine et inutile...
Ainsi en est-il de l’ego que l’on se fait fort de vouloir détruire ! Que l’on utilise une technique physique, psychique ou mentale, jamais on n’y parvient. Il n’y a rien à « tuer » ! Plus on lutte par la volonté, plus on renforce ce contre quoi on lutte. Maître Eckhart l’a rappelé jadis en conseillant de ne pas lutter contre ses défauts mais de promouvoir ses qualités. D’ailleurs, à quel moment une qualité un tant soi peu exagérée devient-elle un défaut ? Dans certaines circonstances, ce qui est un défaut ne devient-il pas une qualité ? Constater simplement l’état des choses suffit, sans jugement de soi ou des autres. A tout le moins peut-on dire comme l’éleveur de chevaux mongol : « Je ne sais pas ! »
Les vieilles peaux tombent d’elles-mêmes lorsque le temps de la mue est venu. L’ego inférieur disparaît dans son propre néant. Se produit alors le Retour à l’Unité, à « l’Ego-Centre de l’Unique » selon l’expression de L’Instruction du Verseur d’Eau
[1].
 

[1] - Op. cit.
 



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