Contes, mythes et légendes,
"Manifestation vivante de la Vie Unique",
dits par Régor au gré de la Vouivre

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CONTES SUR LE BON SENS
 
ET LES CROYANCES
 
 
 
De ce conte traditionnel sur le Trésor caché, Coelho a fait un best-seller !  On le retrouve sous maintes et maintes formes dans beaucoup de traditions issues de la Tradition, particulièrement en Perse et en Israël.
 
 
 
LE TRÉSOR RÊVÉ
 
 
 
Il était une fois dans un village perdu au fond d'un désert un pauvre paysan qui vivait chichement en cultivant un jardin dont la terre ingrate lui permettait à peine de survivre. Il habitait une masure en ruine sur le fronton de laquelle se trouvait un cadran solaire dont l'aiguille était cassée, comme si, pour lui, le temps s'était arrêté.
Au fond de ce jardin, il y avait un puits près duquel poussait un figuier. Notre homme aimait se reposer à son ombre.
 
Un soir, alors qu'il dormait sous le figuier, il fit un rêve extraordinaire. Il vit une ville immense, aux mille minarets, aux centaines de fontaines jaillissantes, une ville grouillante d'une foule bruyante et multicolore. Il en suivait la grande rue jusqu'à un pont enjambant un fleuve. Il descendait sur la berge et là, sous l'arche, il se mettait à creuser à grands coups de pioche. Et il mettait à jour un coffre énorme. Il l'ouvrait et ce coffre était rempli de pièces d'or, de pièces d'argent et de pierres précieuses !
Le pauvre homme se réveilla alors en sursaut et aussitôt, saisissant une pioche, sans même prendre le temps de fermer la porte de sa masure, il partit à grandes enjambées pour Bagdad.

Après quelques jours d'une marche épuisante, quelle ne fut pas sa surprise d'arriver dans la ville de son rêve, une ville immense, aux mille minarets, aux centaines de fontaines jaillissantes, une ville grouillante d'une foule multicolore et joyeuse !
Il suivit alors la grande rue jusqu'à un pont enjambant un fleuve. Il descendit sur la berge et là, sous l'arche, il se mit à creuser à grands coups de pioche.
Mais il ne trouva rien...
Il fut désespéré...
Il remonta sur le pont, enjamba le parapet pour se précipiter dans le fleuve et mettre fin à sa triste existence lorsque, au dernier moment, un mendiant qui passait par-là le retint et l'empêcha de commettre cet acte fatal.
Le paysan lui raconta alors son rêve étrange et sa terrible déconvenue.
- Que tu es fou ! lui dit le mendiant. Comment as-tu pu croire ce que tu as vu en rêve ! Le rêve n'est pas la réalité ! Reste avec moi à Bagdad. Bon an, mal an, en mendiant dans les rues, on ne meurt pas de faim. Mais surtout laisse tes rêves !
Tiens, moi qui te parle, en rêve, très souvent, j'ai vu une pauvre masure en ruine.
Sur son fronton, il y a un cadran solaire dont l'aiguille est cassée comme si là-bas le temps s'était arrêté.
Il y a un jardin au fond duquel pousse un figuier près d'un puits.
Eh bien, dans mon rêve, je creuse à coups de pioche sous le figuier et je trouve un coffre énorme ! Lorsque je l'ouvre, il déborde de pièces d'or, de pièces d'argent et de pierres précieuses !
Mais je ne suis pas fou, moi !
Il ne m'est jamais venu à l'idée de chercher la masure de mes rêves !
A peine avait-il dit cela que le paysan, saisissant sa pioche, le planta là et reprit le chemin de son village. Il marcha comme un fou, sans s'arrêter. Arrivé chez lui, sans même jeter un coup d'œil à sa masure, sans aucune hésitation, il alla tout droit sous le figuier et se mit à creuser.
Là, vous ne me croirez pas, il trouva un coffre énorme, rempli de pièces d'or, de pièces d'argent et de pierres précieuses !
Ah ! Qu'allons-nous chercher au loin ce que vous avez sous vos pieds !
 
Ne vous laissez pas envoûter par la beauté des images, ni hypnotiser par le rythme des répétitions ! Voyez que c’est là l’histoire de tout un chacun, la mienne et la vôtre…
Si vous voyez plus loin et que vous vous rappelez où le Dieu des dieux a caché à l’homme sa divinité, alors, mieux que sous vos pieds, ne faudrait-il pas le chercher, ce trésor, là où il est ? Mais il est vrai que, selon les Grecs, les pieds sont le siège de l’âme !
 
 
 
Mais où faut-il chercher la clef de son chez-soi ? Mullah Nashrudin à qui, en Turquie et dans tout le Moyen Orient, on attribue tant d’histoires édifiantes, nous livre un secret !
 
 
 

 
LA CLEF PERDUE
 
 
 
 
Par une nuit sans lune, Nashrudin traversa tout le village et, arrivé à la porte de sa demeure, il s’aperçut qu’il avait perdu sa clef.
Il fit demi-tour, s’arrêta sous un lampadaire et se mit à chercher.
Un voisin, passant par-là, l’aperçut et lui demanda :
- Que cherches-tu là à cette heure ?
- Je cherche ma clef, je l’ai perdue et je ne peux pas rentrer chez moi !
- Es-tu sûr de l’avoir perdue ici ?
- Ah ! Non, dit Nasrhudin, mais ici, il y a de la lumière !
 
Nous cherchons très souvent la clef de la compréhension de l’existence humaine là où nous sommes conditionnés à croire qu’est la lumière ! Jamais où nous pensons qu’est l’obscurité ! Comme les phalènes hypnotisées par la lueur des fausses lumières, nous allons nous brûler les ailes à ce qui n’est que croyances au lieu de vivre. Aussi est-il ajouté à cette histoire :
 
N’ayant pas trouvé sa clef, Nashrudin revint à la porte de sa demeure et là, il s’aperçut que la porte n’était pas fermée !
 
Combien de fois cherchons-nous la clef d’une porte qui n’est pas fermée !
Et même, très souvent, il n’y a jamais eu de porte !

 
Nashrudin, dans sa folie, de dire :
- Maintenant, j’ai compris. Avant, j’avais des problèmes et je cherchais des solutions ! Quels soucis !
Ensuite, je n’eus plus de problème, mais comme j’avais des solutions, il me fallait chercher à quels problèmes elles répondaient ! Quel casse-tête !
Maintenant, je n’ai plus ni problème ni solution !
 
Mais c’est un simple d’esprit !
 
J
 
Combien croient avoir enfin trouvé la Source ! Certes, oui, on ne peut pas dire qu’il n’y ait point d’eau là où certains creusent leurs puits, mais bien encore celle de leurs émotions comme vous allez voir…

Toute vérité relative est conditionnée par la culture, la religion, les mœurs et les coutumes... Qui peut imaginer ce qu’il ne connaît pas ? Ainsi en est-il de ce couple de Bédouins qui viennent de découvrir :
 
 
 
L'EAU DU PARADIS
 
 
 
Il était une fois, dans le désert de Perse, un pauvre couple qui vivait dans une oasis de la cueillette des dattes, buvant le lait de leur chamelle, tissant leur tente et leurs habits avec les poils de cet animal. Ils buvaient une eau salée, glauque et fétide qui suintait de la seule source qui existât à des kilomètres à la ronde. Ils étaient nés là et n'imaginaient pas qu'une autre eau puisse exister sur terre. Jamais ils n’avaient eu envie de traverser le désert !
 
Or, un matin à son réveil, l'homme s'aperçut qu'une nouvelle source avait jailli près de sa tente durant son sommeil.
Il la goûta et, comme elle était un peu moins salée, un peu moins glauque, un peu moins fétide que l'eau à laquelle il s’était accoutumé, il la trouva excellente et appela sa femme :
- Viens vite, regarde ce qui a jailli cette nuit près de notre tente ! Goûte ! Nous sommes bénis de Dieu qui a eu pitié de notre longue misère... N'est-ce pas là l'Eau du Paradis ?
- Certes oui, acquiesça sa femme après avoir bu ! Cette eau doit être la meilleure du monde !
- Nous ne pouvons, dit son mari, garder pour nous seuls ce trésor. Il nous faut aller à Bagdad pour que le Calife sache quel miracle vient de se produire en ce pays et pour qu'il puisse se réjouir en goûtant cette eau unique au monde...
 

Le lendemain, ils se mirent en route pour Bagdad, au lever du soleil, ayant accroché sur le dos de leur chamelle deux outres remplies de l'Eau du Paradis, l'une pour le voyage, l'autre pour le Calife.
 
Ils marchèrent plusieurs semaines avant d'arriver un soir à Bagdad. Ils se firent indiquer le palais du Calife Aroun Al Rachid, mais les gardes ne voulurent pas les laisser entrer tellement leur aspect était pauvre et miséreux. Ils passèrent la nuit aux portes du palais.
Par chance, le lendemain était un vendredi, jour où le Calife avait coutume de recevoir et d'entendre tous ses sujets qui en faisaient la demande. Ils furent donc admis en audience. Là, ils racontèrent comment la source merveilleuse avait jailli au fond du désert où ils vivaient. Ils offrirent au Calife une outre de l'Eau du Paradis que celui-ci goûta.

Alors, le Calife s'enquit de savoir quand ils étaient arrivés et ce qu'ils avaient pu voir de la ville de Bagdad. Lorsqu’il se fut assuré que, arrivés de nuit, ces pauvres gens n'avaient pu voir les mille merveilles de la ville, il donna l'ordre de les recevoir en son palais, de les bien traiter mais de ne les laisser sortir sous aucun prétexte. Il ajouta qu’il prendrait dès le lendemain les mesures nécessaires qu'exigeait la situation.
Le lendemain, après s'être assuré qu’ils avaient été bien traités, il leur fit don d'une bourse remplie d'or, les assura qu’il les nommait « Gardiens de la Source de l'Eau du Paradis ». Il leur ordonna d'offrir gratuitement de sa part cette Eau à tous les voyageurs et caravaniers qui se présenteraient. Puis il les fit reconduire de nuit aux portes de Bagdad, sous bonne escorte, en ordonnant qu'ils ne puissent voir ni le Tigre, ni l'Euphrate, ni les mille fontaines qui coulent dans les rues et les jardins de la ville.
 Ainsi fut fait.
 
A ses familiers étonnés qui l'interrogèrent sur son étrange décision, Aroun Al Rachid répondit qu’il ne fallait surtout pas que ces pauvres gens connussent une eau meilleure car, dans leur extrême simplicité et dans leur naïveté, ils ne pouvaient vivre ailleurs que dans leur oasis.
 
Ah ! Je vois bien que cette histoire vous déroute, que vous ne percevez pas tout le sel qu'elle contient !

Peut-être, comme ces deux nomades, n'avez-vous jamais goûté à une autre eau que celle encore salée, glauque et fétide des croyances et des religions de ce monde et que, comme eux, vous ne preniez cela pour l’Eau du Paradis !
Vous les croyez venir de Dieu, d'où elles viennent il est vrai, mais à votre mesure.
                                                                                                  
Quand permettrez-vous au Calife Suprême de vous faire boire à la Source véritable ? [1]
 
Quelle admirable délicatesse que celle du Calife qui ne veut pas scandaliser ces pauvres gens, détruire inutilement leur conviction sincère, la vérité qui est à la mesure de leur capacité !
Beaucoup de religions ont été ainsi instituées, à la mesure de la capacité des humains, de manière à ce qu’ils puissent vivre leur condition présente, sans envie ni jalousie. Ils se rendront Bagdad en juste temps. Ceux qui ne l’attendent pas, n’y trouvent que misère et malheur ! Ainsi tant et tant viennent grossir les bidonvilles des mégapoles démentielles d’où les fontaines d’eau vive sont d’ailleurs absentes.
 
J
 
 

Qu’importe la croyance d’ailleurs !
Celle-ci ou une autre..,
dès lors qu’elle est sincère,
ne peut-elle pas faire des miracles ?

 
 
NASHRUDIN, GARDIEN DE MAUSOLÉE

 
 
 
Le père de Nashrudin était gardien d'un mausolée fort célèbre. On y venait en pèlerinage de très loin et il s'y passait même des miracles.
Comme il est de coutume dans son pays, Nashrudin aurait dû succéder à son père comme gardien du mausolée. Mais il préféra parcourir le vaste monde et il partit un jour vers l'Orient avec, pour tout compagnon de voyage, son âne.
 
Pendant de nombreuses années, il marcha, traversant la Perse, l'Afghanistan, l'Ouzbékistan, les montagnes du Pamir, la Mongolie, la Chine... Partout il étudiait les langues, les mœurs, les religions, les coutumes des peuples qui vivaient sur ces terres. Il se faisait l'élève des plus grands maîtres rencontrés. Mais toujours, il repartait un peu plus loin, à la recherche d'une vérité qu'il pressentait comme quasi inaccessible tant les mœurs, les religions et les coutumes de ces peuples étaient partout différentes.
 
Au fil des années, il s'était pris d'un très grand attachement pour son âne, son seul compagnon de voyage.
Or, il arriva dans les montagnes inaccessibles du Tibet, parmi des peuples dont il ne connaissait pas la langue.

 
Un soir, épuisé par l'altitude, le manque d'air et par tant et tant d'années de marche, l'âne de Nashrudin rendit l'âme dans un endroit désert. Le chagrin de Nashrudin fut considérable. Il enterra immédiatement son âne sur les lieux mêmes, et, de longues heures, pleura sur sa tombe. Il resta là, prostré par le chagrin, toute la nuit, et encore, les jours et les nuits suivants.
 
Les habitants d'un village voisin remarquèrent le comportement étrange de Nashrudin. Ils lui apportèrent de la nourriture, essayèrent de communiquer avec lui, mais ils ne connaissaient pas sa langue.
A le voir ainsi pleurer sur cette tombe pendant des jours et des nuits, un vieillard, sans doute le plus sage d'entre eux, dit aux autres villageois :
- A voir le chagrin du disciple, on peut imaginer la sainteté du maître enterré là !
Chacun acquiesça. Les villageois décidèrent de construire un mausolée sur la tombe de ce maître tant regretté.
On y vint en pèlerinage des villages voisins. Il se produisit des miracles. La réputation du lieu grandit. Tant et si bien qu'un jour, le père de Nashrudin entendit parler d'un mausolée quelque part en Orient, où tous les peuples de la Terre allaient en pèlerinage et où il se produisait toutes sortes de miracles en nombre encore plus considérable qu’à celui dont il avait la garde. N'y tenant plus, il prit un jour son bâton de pèlerin et partit pour l'Orient.

 
Quelle ne fut pas sa surprise, en arrivant sur les lieux après des mois de marche, de trouver là son fils Nashrudin gardien du mausolée !
Celui-ci lui révéla le secret qu'il n'avait encore jamais osé dire à quiconque :
- Ce n'est pas mon saint maître qui est enterré là, c'est tout bonnement mon âne !
- Ah ça ! C'est extraordinaire, s'exclama le père de Nashrudin, c'est incroyable ! C'est exactement la même aventure qui m'est arrivée il y a de cela bien longtemps, et c'est ainsi que je suis devenu gardien de mausolée ![2]
 
Oui ! Les Soufis qui contèrent jadis cette histoire avaient à cœur de remettre les pendules à l’heure avec beaucoup d’humour !  Peu importe qui est enterré là, l’âne ou le maître ! Il se produit les miracles que la foi procure. Certaines reliques de saint du Moyen Age s’avérèrent, après expertise, n’être que des os de chie !. Cela n’a sans doute pas empêché des guérisons de se produire ! Il faut beaucoup d’humour pour regarder en face les vérités de ce monde à la fois magique, déconcertant, envoûtant et redoutable.
Parti explorer le vaste monde, Nashrudin pourtant n’échappe pas à son destin et succède à son père, d’une certaine manière, en devenant gardien de mausolée. Il croyait agir librement en choisissant une autre voie !

 
Les histoires de Nashrudin nourrissent la sagesse populaire de nombreux peuples. Ainsi en est-il en Egypte : Sur le bord du Nil un soir de Noël, cette histoire fut contée, en français, devant un mausolée, à une guide qui parlait couramment l’Arabe.
Le soir même, autour du feu, se réunirent étrangers de passage et Egyptiens, les uns chauffeurs, les autres cuisiniers ou chaouchs, que sais-je encore, des gens simples, gais et souriants, toujours prêts à chanter, à danser, à taper sur tout objet pouvant servir de percussion, à vivre quoi !
Lorsque fut conté en français une histoire de Nashrudin, la traduction en fut faite aussitôt. Alors les sourires de ces gens ! Incroyable ! Un français qui contait des histoires de Nasrudhin qu’ils connaissaient par cœur ! Toute la nuit, ce fut une joute extraordinaire. Chaque conte était immédiatement traduit dans l’autre langue et la réponse fusait, au plus près du sujet !
 
 
 
Quelle est l’origine de maintes traditions ?
Ce ne sont souvent qu’erreurs colportées, qu’interprétations à son avantage des événements déclenchés par des peurs injustifiées. Tout comme le fut le Traité sur le Thé
dont nous avons parlé. Vaines croyances où l’autre n’est souvent qu’un bouc-émissaire ! C’est pourquoi je vous conte :
 
 
 
COMMENT NAISSENT
 
CERTAINES TRADITIONS !
 
 
 

 
Il était une fois une petite ville perdue au fond d'une profonde vallée, entre les monts d’Arrée et les Montagnes Noires. Cette ville ne comportait que deux rues parallèles communicant entre elles par d'étroits passages.
Un jour, un druide réputé passa de la première à la seconde rue en pleurant abondamment... Il venait d'éplucher des oignons !
En voyant ce saint homme pleurer, quelqu'un dit :
- Il a dû arriver un grand malheur dans la première rue !
- Oui, dit une autre personne, quelqu'un est mort brutalement ! 
Un homme plein de bon sens suggéra :
- Envoyons quelqu'un dans la première rue pour nous renseigner.
- Surtout pas, dit un autre, cette personne est morte d'une maladie affreusement contagieuse !
Le bruit courut aussitôt dans la seconde rue que les habitants de la première rue étaient victimes d'une abominable épidémie de peste. En un instant, chacun rassembla ses affaires et ses animaux et tous les habitants de la seconde rue partirent en exode vers le nord.
 
Pendant ce temps, le bruit courut dans la première rue que les habitants de la seconde rue étaient victimes d'une maladie horrible et contagieuse. Tous ceux de la première rue rassemblèrent leurs biens, leurs affaires et leurs troupeaux et partirent en exode vers le sud.
En un instant, la ville se vida totalement de tous ses habitants...
 
Les années, les siècles ont passé.
Dans le fond de cette vallée perdue, on peut voir encore les ruines d'une ville qui ne comportait que deux rues parallèles.
Dans les montagnes environnantes, au nord et au sud, il y a deux villages dont les habitants ne se connaissent pas, se haïssent même. Dans chacun d'eux, les vieillards racontent à leurs petits enfants que, dans des temps fort anciens, leurs ancêtres habitaient la ville au fond de la vallée dont on distingue les ruines, l'une des deux rues parallèles. Mais que, brutalement, une atroce épidémie survint qui fit périr en un clin d’œil la moitié du village, ceux qui habitaient l'autre rue. Grâce à Bélénos, leurs ancêtres, gens de grande vertu, avaient pu échapper à l'épidémie alors que les habitants de l'autre rue avaient tous péri à cause de leurs grands péchés... [3]
 
Que l’on est prompt à se justifier tout en jugeant l’autre ! Prompt aussi à colporter faussetés, médisances, calomnies et mensonges en se gardant d’aller vérifier !

Depuis des siècles, les humains s’entre-tuent au nom de coutumes et de traditions ineptes, de croyances fossilisées et de préjugés stupides. Lieux communs que dénoncent avec ironie les Soufis dans des histoires pittoresques ! Vainement jusqu’ici…
 
J
 
 
D’autres prennent allégrement la lettre pour l’esprit. Ainsi en est-il de ce jeune druide à qui son maître venait de révéler :
 

L’INVOCATION SUPRÊME

 
 
 
Il était une fois un jeune druide à qui Merlin avait révélé l’Invocation Suprême qui peut conférer, si on la répète autant de fois qu'il est possible, tous les pouvoirs surnaturels que l'exercice de la sagesse permet d’acquérir en ce monde.
Il marchait le long d'un fleuve, perdu dans ses pensées. A chacun de ses pas, il répétait avec application et conviction :
- Ayo ou, Ayo ou, Ayo ou, Ayo ou.
En regardant le fleuve couler, la pensée lui vint que, peut-être, par la grâce de cette invocation, il pourrait… marcher sur les eaux comme tant d'autres druides avant lui !
 
Soudain, son attention fut attirée par une sorte de plainte lointaine qui montait d'une île sur le fleuve. En s’approchant, il put distinguer les paroles de la voix qui chantait :
- Oya ou, Oya ou, Oya ou, Oya ou.
- Ce n'est pas là l’Invocation véritable, pensa-t-il aussitôt. Quel malheur de perdre ainsi tant d'énergie faute de connaître la vérité !

Continuant son chemin, il aperçut un pauvre hère assis devant une hutte, occupé à tisser ; il chantait simplement :
- Oya ou, Oya ou, Oya ou, Oya ou.
Pris de compassion, son zèle s'enflamma et il courut pour remettre dans le droit chemin celui qui, sans doute par ignorance, s'égarait ainsi loin de la vérité.
 
Apercevant une barque sur le rivage, il fit force de rame vers l’île où il accosta. Puis il s'adressa au pauvre hère solitaire :
- Frère, j'ai entendu au loin ta prière, et je suis venu t'enseigner l’Invocation Suprême véritable. Ce que tu chantes n'est pas juste. Tous les anciens druides de tous les temps l’attestent, la formule qu'il convient de répéter est : Ayo ou, Ayo ou, Ayo ou ...
- Ah ! Merci, frère, de t’être donné tant de mal pour moi, répondit le pauvre homme.
Il raccompagna le jeune druide jusqu'à la barque.

 
Celui-ci ramait en direction du village. Il entendait monter dans l'air l’Invocation véritable :
- Ayo ou, Ayo ou, Ayo ou ...
Il avait grande satisfaction d'avoir pu rendre service ainsi, grâce à Dieu, à cet inconnu auprès duquel la Providence, il n’en doutait pas, l'avait envoyé pour son édification.
Quand soudain il entendit la voix hésiter :
- Ayo ou, Ayo ou..., Oya ou, Oya ou, Oya ou ...
- Ah ! se dit-il, toute cette fatigue pour rien ! Voilà ce pauvre homme retombé dans son erreur ! Vraiment, il est dur et pénible d'enseigner la vérité ! Mais enfin, j'ai fait ce qui était de mon devoir pour lui...
Cependant, le chant s'était tu.
Le druide ramait toujours en direction du rivage quand soudain, il vit venant vers lui, en marchant sur les eaux, le pauvre hère qui lui dit :
- Frère, je ne me rappelle plus très bien… Comment était-ce déjà ? [4]
 

Ah ! Ces gens de la lettre ! Que ne furent-ils pas souvent tournés en dérision par des maîtres d’une autre trempe que la leur ! Rien n’y fit jamais ! Leur bêtise vaniteuse est de tous les temps. Mais ils sont dangereux lorsqu’ils prennent le pouvoir comme nous verrons plus tard !
En attendant, rions… de nous plutôt que d’eux puisqu’ils sont des facettes de nous-mêmes et de nos limitations, de nos turpitudes et de nos ridicules ! Qui sait rire de l’imbécillité de son ego se détache déjà de celui-ci !
 
Cette histoire-ci nous vient aussi de l’Orient et en conserve l’habit :
Après douze années passées auprès de son maître, ce disciple se retira dans une grotte reculée pour pratiquer yoga et concentration.
Douze années s’écoulèrent de nouveau avant qu’il ne revint voir son maître pour lui dire :
- Maître, ça y est ! J’ai réussi ! J’ai pu enfin traverser la rivière en marchant sur les eaux !
- Imbécile ! lui répliqua celui-ci. Si tu avais pris la barque, tu aurais été plus vite !
 
Ou bien cet autre encore, de la même veine :
Il était une fois, en Orient,  un jeune homme qui venait d’être admis à entrer dans un monastère. Celui-ci était construit au bord d’une rivière. A la grande surprise de notre moine, il vit les anciens élèves traverser la rivière en marchant sur l’eau.

Avec toute sa foi juvénile, il s’élança pour faire de même, mais plusieurs fois, il tomba dans des trous profonds et faillit se noyer.
Un ancien demanda aux autres :
- On le laisse se débrouiller tout seul ou bien on lui montre où sont les pierres ?
 
Il a été aussi souvent rappelé « qu’une fois la rivière traversée, il est inutile de porter la barque sur son dos », surtout pour traverser le désert !
Le bon sens ! Toujours ! Etre terre-à-terre d’abord pour ne pas partir dans la rêverie, les fantasmes, l’astral. Que ce soit le haut ou le bas astral, cela est à dépasser, par l’incarnation, la « carnation », l’expérimentation de sa « carne » ! En suivant les chemins de la Vouivre…
 

[1] - D'après Abu el-Atahiyya, mort en 828.
[2] - D'après une histoire attribuée à Hadj Bektash, fondateur de l'Ordre des Derviches Bertashi, mort en 1337.
[3] - D’après Sheikh Qalandar Shah - Secrets des Reclus.
[4] - D’après une tradition populaire orientale. Cette histoire figure dans d’anciens manuscrits derviches.

 



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